Caïn
Les sportifs qui aiment le cinéma se souviennent certainement de l'officier allemand de Verdun, visions d'histoire. Thomy Bourdelle qui interpréta ce rôle est un sportif, et non un sportif d'hier.
En juillet 1914 Thomy Bourdelle était en effet le seul athlète complet digne, de se mesurer avec Géo André — le plus grand athlète que nous ayons jamais eu, dit-il ; — mais un mois après, en août 1914, se présenta une grande, une formidable épreuve, dont vous avez sans doute souvenance, qui interrompit pour quelques années la carrière sportive de notre héros. Il s'en tira, tant bien que mal, comme des milliers d'autres. Il revint à une vie normale et, par la force aveugle du hasard, fut amené à faire connaissance avec le moulin à images.
Aujourd'hui Thomy Bourdelle nous revient, à peine bronzé, d'un séjour de quelques mois à Madagascar où il vécut l'existence d'un civilisé que la nature ramène peu à peu à l'état primitif, dans ce qu'il a de plus noble et de plus normal.
Ce sont les impressions malgaches de Thomy Bourdelle que vous allez lire. — R. E. B.
Au cours du film j'ai eu à soutenir un combat très serré avec un indigène, champion lutteur bara. Combat singulier dont le prix est la possession de Zozolo, femme indigène, rôle interprété- par ma charmante camarade Rama-Tahé.
L'homme que sa taille et sa force avaient désigné à l'emploi de chef de la police indigène aux plantations de La Motte-Saint-Pierre portait un nom prometteur : Tsymysha (celui qu'on ne tombe pas).
Dans l'intérêt général on convint par le truchement d'un interprète qu'on « arrangerait » le combat et qu'on s'entraînerait tant qu'il le faudrait avant la prise de vues.
Première séance sur la plage d'Ambatoloka. L'homme est puissant et musclé — 1 m. 85, 95 kilos environ, — il lutte à merveille et n'ignore aucune des prises de la lutte au caleçon. Deux séances, trois séances, cinq séances d'entraînement apportent un résultat satisfaisant et d'excellents effets en perspective.
On prend jour pour tourner. La veille au soir M. Piguet, directeur des domaines de La Motte-Saint-Pierre, me prévient que ses bolos (domestiques) ont surpris de nocturnes conciliabules dans lesquels Tsymysha déclare qu'il ne se laissera pas faire par le Vazaha (le blanc) et qu'il jouera son va-tout le lendemain sans tenir compte de ce qui a été réglé à l'entraînement.
EN MARGE DU CINEMA ET DU SPORT
Lutte et rugby à Madagascar
Léon Poirier, mis au courant de la cabale, me fait part de son désir de choisir un lutteur moins puissant et moins décidé.
Je lui demande seulement d'interdire l'accès de l'arène à toutes les nombreuses et ferventes admiratrices du champion bara et le prie, dans l'intérêt du film, de ne rien changer au programme.
Le lendemain, lorsque nous arrivons sur les lieux du travail, notre homme, venu à pied, nous attend dans une pose hiératique, invoquant ses dieux et leur demandant la victoire. Sa tête est farouche. Les préparatifs, délimitation du champ et des angles de prises de vues, me semblent interminables, mais je ne perds pas courage et suis décidé à ne pas me « dégonfler ».
Dès les premiers engagements l'homme se livre à fond et je sens qu'il ne tient aucun compte de nos conventions tacites. Je n'ai qu'une façon de m'en tirer, donner aussi moi-même à fond et être, sinon plus fort, du moins plus habile que mon adversaire.
Nous luttons près de dix minutes avec de très durs échanges sans arriver à un résultat. Tout à coup mon adversaire me porte à la volée un splendide bras roulé par lequel nous sommes précipités à terre tous deux. C'était l'occasion rêvée. Lui saisissant l'avant-bras resté libre, je le lui tordis violemment comme en lutte libre, ce qui le fit hurler et lâcher prise. Nous rompîmes, c'était fini.
Léon Poirier était satisfait. Il avait très grandement la matière suffisante pour faire un montage intéressant.
A Tananarive où étaient installés les laboratoires d'essai et de développement, nous avons fait un séjour d'un mois. J'ai eu l'occasion de voir les équipes malgaches de rugby. Très vites, d'un souffle inépuisable, les indigènes sont accrocheurs en diable et d'une souplesse magnifique. Après qu'un des leurs eut marqué un essai, j'ai vu les quatorze autres équipiers exécuter avec ensemble un magistral saut périlleux pour saluer cet exploit. Ce qui n'est pas à la portée de tout le monde, évidemment.
Les équipes malgaches se présentent sur le terrain en maillots rutilants et pieds dûment chaussés et cramponnés, mais au bout de dix minutes de jeu les chaussures voltigent sur les touches, les bas aussi. Avant la mi-temps, tout le monde est jambes et pieds nus !
Au point de vue athlétique, très différentes sont les aptitudes physiques des indigènes. Les Hovas souples et adroits sont admirablement doués pour le tennis. Les Sakalaves et les Betsimisarakas, robustes paysans et bergers, ont un souffle inépuisable et feraient d'excellents crossmen : les porteurs de lait font journellement à travers la brousse de l'île 60 kilomètres avec un chargement d'une vingtaine de kilos. Les Baras et les Antandroys, grands, forts, musclés, feraient des boxeurs et des lanceurs remarquables. Ils tuent un boeuf d'un coup de sagaie. Ils lancent avec précision à 40 mètres environ un engin moins approprié cependant aux jets que notre javelot.
Quant aux séances de lutte baras, elles réunissent souvent plusieurs dizaines de concurrents et sont disputées avec un acharnement fantastique. Le titre de champion d'un village apporte avec lui toutes les prérogatives accordées à un grand chef.
Thomy BOURDELLE.
Titre : Match : l'intran : le plus grand hebdomadaire sportif
Éditeur : (Paris)
Date d'édition : 1930-06-03
Description : 03 juin 1930
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