FRANCE. - Thomy Bourdelle, rugbyman et vedette des films "Caïn" et "A mi-chemin du ciel".
FRANCE. - Thomy Bourdelle, rugbyman et vedette des films "Caïn" et "A mi-chemin du ciel".
NOS INTERVIEWS : LE RUGBYMAN CORSAIRE.
BOURDEL NOUS DONNE SON OPINION SUR LES RAPPORTS DU SPORT ET DU CINÉMA
Sur les terrains de rugby, un joueur évolue. Athlétique, remuant l'adversaire de ses fortes main, il écarte de sa route les opposants cramponnés, tel le peuple de Lilliput aux jambes de Gulliver. On suit son effort, on l'admire... O mode étrange ! Pourquoi, cet avant du Racing arbore-t-il des favoris immenses qui viennent expirer aux coins de ses lèvres ? La réponse est simple. Vous avez devant vous Kléber de "Jean Chouan".
Bourdel, qui fut le Marcof très remarqué de Surcouf, cumule dans la vie, des talents photogéniques et un amour désordonné de l’ovale. Toute la semaine il tourne ; tous les dimanches, il s’en va sur de petits terrains lointains, aider au triomphe de son quinze.
Le métier a ses risques. Un œil au beurre noir, le nez cassé, tout cela ne serait pas pour rendre le héros plus sympathique, ni pour faciliter la tâche du metteur en scène. Si, comme l’affirment les recettes de beauté américaines, aux pages des magazines « Votre figure, c’est votre fortune », au cinéma, plus qu’ailleurs !
Bourdel n’en a cure. A la mi-temps, il nous parle sport et art muet.
" Parce que les Américains ne peuvent avoir un grand champion de boxe sans le mettre à l’écran, on se figure, chez nous, que les sportifs feraient de beaux artistes. Ce n’est pas forcément vrai. Une adaptation est nécessaire. Tenez ! Entre le match de boxe « joué » par un artiste, et la rencontre « disputée » par deux véritables combattants, la préférence du public ira toute à la bande truquée. Parce qu’il faut savoir frapper avec art pour l’écran ; que "descendre" 1a victime n’est pas forcément un critérium d’esthétique, au royaume du contre-jour. Autre exemple. Notre champion Lewden, en passant 1 m. 95, accomplit un exploit sensationnel. Croyez-vous que ce bon, filmé, ferait de l’effet ? Nullement. En baissant l’appareil et réglant la lumière, vous feriez franchir trois mètres au petit Stadiste, et deux mètres à un figurant quelconque.
Si l’on écrit un scénario simplement pour tel ou tel athlète, là question devient un peu différente. Il ne s’agit plus que d’être comédien. Quel métier cela suppose !
Douglas Fairbanks, aux prouesses magnifiques, ne passe pas pour un comédien hors ligne. Mais, quelle mise en valeur, étonnante, de son plus minime effort ! Voilà un homme merveilleusement entraîné dont le geste sportif est décuplé par l’éclairage. Pour « le Voleur de Bagdad », Doug passa deux mois sur la côte de Floride à se faire bronzer par le soleil ; ainsi mettait-il en valeur sa musculature ! En des conditions de confort analogue, quels miracles ne pourraient être accomplis !
Enfin, ce n’est pas tout que de savoir nager, boxer, monter à cheval, faire des armes, voire jouer avec simplicité et émotion. Il faut que votre metteur en scène soit, lui-même un peu sportif ; qu’il sache adapter vos facultés à votre rôle, sans-vous faire commettre des hérésies !
En' ce qui me concerne, je dois toute ma reconnaissance à M. Luitz-Morat, qui a su tirer de ma place de troisième au Concours de l’athlète complet, le maximum de parti sur l’écran. Ce metteur en scène a tenu à m’utiliser toujours, dans la plénitude de mes moyens physiques. Ce faisant, il a servi ma cause, comme celle des films où je paraissais.
Il serait à souhaiter, enfin, qu’on s’orientât vers les bandes vraiment, foncièrement sportives. Les Américains nous sortent des productions remarquables, dans cet ordre d’idées. Chez nous, jamais un jeune premier, encore, n’a marqué d'essais à Colombes, ou de buts au Red Star. Pourtant la foule, les joueurs, les arbitres, les présidents de clubs, tout le monde se ferait un plaisir d'encourager les tours de manivelle d'un opérateur ingénieux..."
Le sifflet du referee strida.
"Allons Kléber ! criait-on. Les troupes te réclament! "
Bourdel reprit sa place, et botta le coup d'envoi.
C.-A GONNET.
L'Intransigeant, 30 novembre 1925
En 1913, au concours de l'athlète complet, qui réunissait la fleur de la jeunesse française et qu'enleva Géo André, une des places était prise par Thomy Bourdelle.
Thomy Bourdelle, neveu du grand sculpteur trop tôt disparu, avait alors pour ambition de devenir artiste lui-même.
À l'école des Beaux-Arts, il peignait et taillait dans le marbre ; puis il partit pour Reims au collège d'athlètes fondé par Hébert et le marquis de Polignac dans le magnifique parc Pommery. La guerre devait l'y surprendre.
Retour des armées, Thomy laissa tomber le ciseau et le maillet, chercha sa voie. C'est alors que le metteur en scène Roger Lion eut besoin, pour un film, d'un bourreau aux proportions inusités. On trouva - par hasard - notre homme. Il tourna vêtu de rouge, appuyé sur sa hache. Il fut très bien, continua.
Les créations de Thomy Bourdelle depuis furent nombreuses. Courageusement, il a gravi l'échelle ; il a rencontré de grandes, de vraies difficultés sur sa route et cependant persévéré. Triomphe !
Entre temps, il jouait au rugby, comme pilier, dans une équipe du Racing-club de France. Son aspect hirsute (la plupart du temps, il remplissait des rôles barbus) effrayait quelque peu l'adversaire. Souvent, nous entendîmes : "Quel est cet homme des bois ?". Mais le métier d'artiste de cinéma ne peut se concilier avec les yeux au beurre noir, ou les arcades sourcilières fendues. Thomy Bourdelle, bien à regret, dut quitter l'arène de ses exploits sportifs !
Il trouva sa voie avec Caïn. Léon Poirier pour s'exiler dans l'îlot admirable de Nossi-Bé, y établir son "camp de caméra", s'était mis en quête de partenaires de grande allure. "L'homme révolté" ne se concevait que puissant, traits marqués par la fatalité, et en même temps assez façonné par les jeux du stade, pour ne pas craindre de se montrer à peu près nu.
Avec Thomy Bourdelle, avec Rama Tahé, Poirier disposait d'irremplaçables interprètes. La stature de l'un, la ligne de l'autre . . . pouvait-on trouver mieux en Europe ?
Le film fut dur à réaliser. Une chaleur étouffante ; de longues stations en plein soleil, tête nue ; un climat magnifique et déprimant, qui n'incitait guère à de violents efforts. Mais la petite troupe de Caïn avait résolu de produire une grande chose, de tirer le maximum des circonstances, de vaincre, en un mot, dans cette bataille.
Thomy Bourdelle nous a confié que, dans le combat singulier qu'il livra avec un noir splendide, et qui est un des clous du film, les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi qu'on avait pu l'envisager. Aux répétitions, le lutteur malgache se laissait "tomber", comme l'exigeait le scénario, au bout de quelques minutes de corps-à-corps acharné (par 45° à l'ombre). Le jour de la prise de vues, ce protagoniste orgueilleux et naïf ne voulut plus se laisser faire ! Un véritable assaut, sous l'oeil de l'appareil, s'engagea alors, dont la sincérité cinématographique était indéniable, mais qui plaçait notre champion, déjà anémié par la température, en assez difficile situation ! La lutte se prolongea, épuisante et brutale.
Finalement, pour mettre à la raison un adversaire qui ne voulait plus rien savoir pour toucher des épaules, Thomy dut avoir recours à une prise de jiu-jitsu. L'indigène, bras tordu, se sauva alors en criant.
Au retour des îles lointaines, notre héros a tourné deux films, qui viennent d'être réalisés sous l'égide de la Paramount français. Ils ont été réalisés à Joinville, en studio. L'un a pour titre : À mi-chemin du Ciel ; l'autre : Le Rebelle.
À mi-chemin du Ciel est une histoire de cirque, d'origine américaine, dont la vedette est Enrique Rivero en France, Charles "Buddy" Rogers outre-Atlantique. Thomy y joue le rôle d'un "vilain", que la jalousie conduit au crime le plus affreux : il laisse s'écraser au sol, au cours d'un numéro de trapèze volant, certain rival !
Jeannine Merrey est l'héroïne féminine de ce drame mouvementé, où encore Marguerite Moreno, Gaston Mauger, Raymond Leboursier, Ketty Loloff et Sergeol.
Ce film, mis en scène par Cavalcanti, nous montrera un exploit sportif pour le moins inattendu du brun Rivero : d'un coup de poing bien asséné, il envoie à terre, knock-out, Thomy Bourdelle ! Cela... du cinéma ! Car, dans la vie, quatre Rivero pourraient à peine inquiéter notre athlète !
Le Rebelle, sur un scénario de Benno Vigny, déroule ses péripéties sur le front russe, au cours d'une guerre assez vague.
Le titre de ce film était d'abord Le Général. Le général ? c'est notre Thomy, superbe en cosaque, et coiffé d'un bonnet d'astrakan qui lui va à ravir. Il a pour partenaire la délicieuse Suzy Vernon ; tandis que dans la version allemande, Conrad Veidt et Olga Tschekowa se partagent les honneurs de la distribution.
Pierre Batcheff, époux de la quelque peu volage et indécise Suzy, la verra, au cours de ce film, tomber dans les bras de Thomy Bourdelle, homme de guerre résolu, tandis que lui, Batcheff, n'est qu'un pauvre bougre de savant (cependant génial). C'est, somme toute, le triomphe des armes sur la science... parmi quelques orgies d'arrière-front auxquelles préside - encore de l'imprévu ! - la sculpturale Paule Andral.
Ce film est l'oeuvre d'Adelqui Millar, qui de l'interprétation est passé depuis peu à la mise en scène. Création dont Thomy Bourdelle peut, d'ores et déjà, dire : "Dans un autre ordre d'idées, je ne crois pas y avoir moins bien fait que dans Caïn ! "
Acceptons-en l'augure !
ANDRÉ CHARLES
MON CINÉ N°493, 30 JUILLET 1930
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