J'eus l'explication de cette réserve lorsque
je sus que mon interlocuteur n'était jamais
allé aux lieux qu'il décrivait avec tant de
pittoresque, mais qu'il dessinait des affiches
pour une compagnie de navigation.
C'est alors que j'aperçus, un matin, Thomy
Bourdelle près de la place Clichy. Je lui
demandai d'où il venait. Il me répondit :
« De loin.
— Ah! fis-je, des studios d'Epinay ? »
Il se mit à rire.
« Non, des Baléares. »
Si bien que je me mis à rire aussi. C'était
l'homme qu'il me fallait. Lui, au moins, en
ce temps où trop de gens parlent des îles et
qui n'y sont jamais allés, pouvait en connaissance de cause me dire si réellement il y faisait
chaud, si la vie ne coûtait rien, ainsi qu'on le
prétend, et si, encore une fois, le snobisme
des voyages ne s'apprêtait point à nous décevoir.
Alors, Thomy Bourdelle parla ainsi :
« Quittant Berlin où je terminais Le Docteur
Mabuse, avec Fritz Lang — un bien grand
metteur en scène, oui, monsieur — je traversai
Paris, juste le temps de constater qu'avec ses
huit degrés au-dessous, notre ville capitale
ne battait pas le record de Berlin où l'on subissait quinze degrés au-dessous...
— Et aux Baléares ? demandai-je.
— J'y arrive. Vingt-quatre heures après,
nous déambulions, mes camarades et moi, sur
la Rambla aux fleurs, à Barcelone, pardessus
au vestiaire, mains dans les poches, veston
ouvert, vingt et un degrés à l'ombre, au-dessus, cette fois. C'était d'ailleurs dommage...
— Pourquoi ?
— Parce que l'on s'y battait en plein air.
L'émeute grondait comme on dit dans l'histoire. S'il avait fait plus froid, les insurgés se
fussent peut-être battus chez eux. « Nous admirâmes cependant, nos passeports tenus à la main, les boulevards bordés
de palmiers que la République a débaptisés
et dont l'un porte le nom de « Diagonal Paralelo », ce qu'on ne voit tout de même pas partout, et un autre de « Boulevard de la Paix »,
ce qu'on rencontre plus souvent. Enfin, au
cours de la nuit, un vapeur nous prit à son
bord et le lendemain Palma nous accueillit.
« Ravissement. Sans présenter le charme
exotique ni l'ambiance tropicale de Nossi-Bé,
Palma de Mallorca, bien abritée des vents
dans une côte admirablement découpée, exposée en plein midi, dotée d'un climat idéal,
justifie pleinement sa réputation d'île du
soleil...
— Les maisons ? dis-je.
— Admirables. Médiévales et romantiques,
avec des patios mystérieux, des reliques, des châsses d'or, des tryptiques naïfs, des statues
ornées de pierreries précieuses...
— Les habitants ?
— Exquis. Ils vous demandent dix fois
par jour ce que vous voulez manger...
— Et ils vous le donnent? »
Une hésitation.
« Ils font ce qu'ils peuvent.
— Les hôtels ?
— Ils font aussi ce qu'ils peuvent. A Palma,
on vit au dehors. J'imagine que beaucoup de
gens y couchent aussi. On ne pense pas qu'à
se coucher lorsqu'on est en voyage.
— Et la vie ?
— Très bon marché. J'ai rencontré un
couple de Français qui depuis 1918 vivent là
de leurs rentes avec cinquante francs par jour.
— Petits rentiers.
— Non : gros capitalistes.
— On m'a raconté qu'à Palma, lorsqu'on
demandait l'heure à un Mallorcain, il vous
offrait sa montre !
— N'écoutez pas tous les potins et achetez-en plutôt une à Paris.
— Les distractions ?
— Charmantes. Il y a des music-halls très
bien fréquentés où les danseuses vous saluent
en relevant leur robe par-dessus leur tête.
Et elles n'ont pas toujours de culotte. Cela
ne les empêche pas d'ailleurs de ne point faire
un pas sans être accompagnées de leur père
ou de leur mère.
— Les étrangers ?
— Des Anglais. Les mêmes que partout.
Un plaid sur l'épaule et un livre à la main.
Ils ont regardé une fois le paysage, en arrivant.
Maintenant, c'est fini. Ils hivernent. Ils sont
extrêmement différents des gens du pays qui,
eux, passent plutôt leur temps à se promener
et à se faire cirer... »
Ainsi se termina l'interview sur Palma
de Mallorca, mais je m'en voudrais maintenant de ne point vous dire ce que Thomy
Bourdelle allait y faire.
Il n'était point là en touriste. Dès le lendemain de son arrivée, Serge de Poligny, metteur
en scène d'un film mystérieux l'embarqua sur
un bateau policier, le Mendoza, en lui affirmant qu'il en était le commandant.
Alors, en compagnie de Jean Gabin, d'Aimos
et de Labry, il poursuivit sans trêve, sur la
mer complice, les forbans de l'Etoile de
Valence : les Amiot, les Sergeol, les Joë Alex,
qui naviguaient sous le pavillon des pirates.
Retour des Baléares. A bord du navire : Bourdelle, le metteur en scène Serge de Poligny et Jean Gabin.
Et nous pourrons ensuite parler des Baléares sans y être jamais allés, ce qui rendra
service à beaucoup de voyageurs en peau de
lapin — comme dirait M. Herriot.
Boisyvon
Pour-Vous : L'hebdomadaire du cinéma. (n°225 / 1933).
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