jeudi 12 mai 2022

Thomy Bourdelle raconte son voyage aux Baléares ( Pour Vous n°225 / 1933 )

Je cherchais depuis une huitaine de jours quelqu'un qui voulût me parler des Baléares. Je rencontrai bien un homme, qui, pendant une demi-heure, me parla de Palma de Mallorca et de Formentor, comme s'il avait créé lui-même ces sites providentiels, mais s'en tint à cet exposé géographique et artistique et parut incapable de me dire comment on y vivait. 
J'eus l'explication de cette réserve lorsque je sus que mon interlocuteur n'était jamais allé aux lieux qu'il décrivait avec tant de pittoresque, mais qu'il dessinait des affiches pour une compagnie de navigation.


C'est alors que j'aperçus, un matin, Thomy Bourdelle près de la place Clichy. Je lui demandai d'où il venait. Il me répondit : 
« De loin. 
— Ah! fis-je, des studios d'Epinay ? » 
Il se mit à rire. 
« Non, des Baléares. » 
Si bien que je me mis à rire aussi. C'était l'homme qu'il me fallait. Lui, au moins, en ce temps où trop de gens parlent des îles et qui n'y sont jamais allés, pouvait en connaissance de cause me dire si réellement il y faisait chaud, si la vie ne coûtait rien, ainsi qu'on le prétend, et si, encore une fois, le snobisme des voyages ne s'apprêtait point à nous décevoir. 
Alors, Thomy Bourdelle parla ainsi : 
« Quittant Berlin où je terminais Le Docteur Mabuse, avec Fritz Lang — un bien grand metteur en scène, oui, monsieur — je traversai Paris, juste le temps de constater qu'avec ses huit degrés au-dessous, notre ville capitale ne battait pas le record de Berlin où l'on subissait quinze degrés au-dessous... 
— Et aux Baléares ? demandai-je. 
— J'y arrive. Vingt-quatre heures après, nous déambulions, mes camarades et moi, sur la Rambla aux fleurs, à Barcelone, pardessus au vestiaire, mains dans les poches, veston ouvert, vingt et un degrés à l'ombre, au-dessus, cette fois. C'était d'ailleurs dommage...
— Pourquoi ?
— Parce que l'on s'y battait en plein air. L'émeute grondait comme on dit dans l'histoire. S'il avait fait plus froid, les insurgés se fussent peut-être battus chez eux. 
« Nous admirâmes cependant, nos passeports tenus à la main, les boulevards bordés de palmiers que la République a débaptisés et dont l'un porte le nom de « Diagonal Paralelo », ce qu'on ne voit tout de même pas partout, et un autre de « Boulevard de la Paix », ce qu'on rencontre plus souvent. Enfin, au cours de la nuit, un vapeur nous prit à son bord et le lendemain Palma nous accueillit. 
« Ravissement. Sans présenter le charme exotique ni l'ambiance tropicale de Nossi-Bé, Palma de Mallorca, bien abritée des vents dans une côte admirablement découpée, exposée en plein midi, dotée d'un climat idéal, justifie pleinement sa réputation d'île du soleil... 
— Les maisons ? dis-je. 
— Admirables. Médiévales et romantiques, avec des patios mystérieux, des reliques, des châsses d'or, des tryptiques naïfs, des statues ornées de pierreries précieuses... 
— Les habitants ? 
— Exquis. Ils vous demandent dix fois par jour ce que vous voulez manger... 
— Et ils vous le donnent? » 
Une hésitation. 
« Ils font ce qu'ils peuvent. 
— Les hôtels ? 
— Ils font aussi ce qu'ils peuvent. A Palma, on vit au dehors. J'imagine que beaucoup de gens y couchent aussi. On ne pense pas qu'à se coucher lorsqu'on est en voyage. 
— Et la vie ? 
— Très bon marché. J'ai rencontré un couple de Français qui depuis 1918 vivent là de leurs rentes avec cinquante francs par jour. 
— Petits rentiers. 
— Non : gros capitalistes. 
— On m'a raconté qu'à Palma, lorsqu'on demandait l'heure à un Mallorcain, il vous offrait sa montre ! 
— N'écoutez pas tous les potins et achetez-en plutôt une à Paris. 
— Les distractions ? 
— Charmantes. Il y a des music-halls très bien fréquentés où les danseuses vous saluent en relevant leur robe par-dessus leur tête. Et elles n'ont pas toujours de culotte. Cela ne les empêche pas d'ailleurs de ne point faire un pas sans être accompagnées de leur père ou de leur mère. 
— Les étrangers ? 
— Des Anglais. Les mêmes que partout. Un plaid sur l'épaule et un livre à la main. Ils ont regardé une fois le paysage, en arrivant. Maintenant, c'est fini. Ils hivernent. Ils sont extrêmement différents des gens du pays qui, eux, passent plutôt leur temps à se promener et à se faire cirer... » 

Ainsi se termina l'interview sur Palma de Mallorca, mais je m'en voudrais maintenant de ne point vous dire ce que Thomy Bourdelle allait y faire. Il n'était point là en touriste. Dès le lendemain de son arrivée, Serge de Poligny, metteur en scène d'un film mystérieux l'embarqua sur un bateau policier, le Mendoza, en lui affirmant qu'il en était le commandant. 
Alors, en compagnie de Jean Gabin, d'Aimos et de Labry, il poursuivit sans trêve, sur la mer complice, les forbans de l'Etoile de Valence : les Amiot, les Sergeol, les Joë Alex, qui naviguaient sous le pavillon des pirates. 

Retour des Baléares. A bord du navire : Bourdelle, le metteur en scène Serge de Poligny et Jean Gabin.

J'aimerais vous dire ce qu'il advint de Brigitte Helm, héroïne du film. Mais je n'en sais rien. Thomy Bourdelle m'affirma que l'histoire demeurait un secret qui n'appartenait qu'à Serge de Poligny. N'insistons pas. On ne gagne rien à connaître à l'avance les sujets des films. Celui-là, étant donné ce que nous savons, contiendra des courses et des combats, en mer, des effets de vagues et de soleil, des flamincos et des fandangos, et, naturellement, de l'amour. 
Et nous pourrons ensuite parler des Baléares sans y être jamais allés, ce qui rendra service à beaucoup de voyageurs en peau de lapin — comme dirait M. Herriot. 

Boisyvon 
Pour-Vous : L'hebdomadaire du cinéma. (n°225 / 1933).






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