jeudi 9 mars 2023

Pêcheur d'Islande de Pierre Guerlais / L'Image (1934).

 

Pêcheur d'Islande ! Le plus pur des chefs-d'oeuvre de Loti. Celui que l'on relit toujours avec la même émotion grave, douce, désolée... 


Celui qui pénètre le plus loin, le plus intimement en notre sensibilité. 
Musicien de la phrase (écrite pourtant avec des mots si simples !) peintre subtil, il fallait que Loti, pour ne pas être trahi; pût trouver en son réalisateur un homme scrupuleusement respectueux de sa pensée et de la forme qu'il lui donna... 
— Et ce fut là un rude « boulot », me confie Thomy Bourdelle, dont le visage tanné s'éclaire du regard, aigu et lointain à la fois, de ceux qui sont habitués à percer la brume et à fouiller le large, le regard de Yann, pour tout dire ! 
Oui, vous vous doutez bien que le « parlant » ne peut être traité comme l'œuvre littéraire... 
A quelles difficultés la belle probité de Pierre Guerlais ne s'est-elle pas heurtée !... 
— Oui, je ne suis pas sans concevoir, par exemple, combien le dialogue pouvait offrir d'écueils... Sans doute, modifié, eût-il été plus vivant, plus véridique; pourtant qui oserait reprocher au réalisateur d'avoir pieusement conservé l'intégralité de ce texte qui chantera toujours au fond de nos mémoires ? 
— Et en ce qui concerne la mer, que n'a-t-on pas fait pour la rendre en sa grandeur, en sa beauté, en son tumulte ! Prendre une tempête, s'imagine-t-on ce que peut être ce travail ! 
" Pourtant, voyez comme les scènes de grosse mer sentent la sincérité, la vérité, n'ont rien de ces agitations artificielles que créent les machines des studios. 
— Je crois bien..., puisque, je ne vous le cache pas, à la présentation, j'ai craint d'avoir le mal de mer . . .
— Oui, Guerlais a tout mis en œuvre pour la réussite ! Personnellement, il m'avait engagé trois mois à l'avance... Une fois arrivé sur place, j'ai vécu quelques jours, sans tourner, à bord, dans l'odeur du goudron et de la morue la vie des gars de l'équipage, de ces pauvres bougres qui travaillent dur, gagnent peu, qui sont simples et sains... J'ai fait la manœuvre, j'ai porté des vêtements achetés à l'un d'eux... En revêtant ce costume qui avait déjà « fait l'Islande, ce fut comme si j'entrais dans la peau du marin. 



Et Thomy Bourdelle se laisse aller à ses souvenirs. L'accueil, l'amitié, le cœur de ces " bougres-là " il ne les oubliera pas de si tôt. Ce n'est pas en vain, d'ailleurs, qu'il a respiré le vent au goût de sel, mouillé son visage aux embruns, hâlé sa peau à l'air du large, promené son regard sur le ciel bas et gris où se pressent des nuages, qu'il s'est saturé enfin de l'atmosphère de cette Bretagne triste et âpre... 




C'est ainsi qu'il faut faire, n'est- ce pas, c'est en créant « le climat » que l'on obtient cette émotion, cette vérité, que Bourdelle a atteintes dans son rôle de Yann et que le métier et même l'art, seuls, ne sauraient donner. Car, il faut bien le dire, les deux premiers rôles, surtout, demandaient des interprètes de grande classe et celui de Marguerite Weintenberger devait être exprimé avec un sentiment et une émotion d'une rare qualité... On n'a pas oublié de quelle gravité tendre, de quelle douceur est pétrie cette Gaud que Yann rencontre à Paimpol le jour de la procession des Islandais... Mais elle lui semble inaccessible... Elle est riche. Elle a vécu à Paris, où elle a pris des façons et « un air distingué de demoiselle ». Comment pourrait-elle accepter de devenir la femme d'un pêcheur ? Pourtant il l'aime, son âme simple s'est donnée pour toujours. 
On sait le reste ; Gaud partage cet amour et, lorsque son père meurt ruiné, lorsque Yann ose enfin se déclarer c'est la joie des aveux : « Croyez- vous que cela faisait mon affaire, à moi, de ne pas me marier ?» lui dit-il. Ce sont les épousailles... Hélas ! la mer, jalouse, attend son heure... Voici maintenant le départ des Islandais, les bateaux un à un s'en vont, la Léopoldine, toute blanche, quitte fièrement le port... et le temps passe... Les femmes, à présent, s'agenouillent, les chapelets s'égrènent et glissent au long des mains dressées, suppliantes devant la Vierge, Etoile de la mer, les cierges brûlent en pleurant leurs larmes de cire. Mais c'est en vain que Gaud fait monter là-haut sa prière fervente... La Léopoldine ne reviendra pas..., la mer a repris son promis... Elle s'est vengée et Yann ne reviendra jamais !... Qui dira la beauté de ces tableaux et l'émotion qui s'en dégage ? La photographie est splendide et illustre d'une façon inoubliable ce poème de l'amour... Car Pêcheur d'Islande, tout comme Tristan et Iseult, est un poème de l'amour — un poème de la mer aussi — et qui continuera, après nous, à toucher les cœurs de ceux qui prendront notre place... Je n'en veux d'autre preuve que les sanglots entendus à mes côtés, lors de la présentation. 

Paulette MORAC.
L'Image, n° 112, 15 février 1934

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