Pêcheur d'Islande ! Le plus pur des chefs-d'oeuvre de Loti. Celui que l'on relit toujours avec la même émotion grave, douce, désolée...
Celui qui pénètre le plus loin, le plus intimement en notre sensibilité.
Musicien de la phrase (écrite pourtant avec
des mots si simples !) peintre subtil, il fallait
que Loti, pour ne pas être trahi; pût trouver
en son réalisateur un homme scrupuleusement
respectueux de sa pensée et de la forme qu'il
lui donna...
— Et ce fut là un rude « boulot », me confie
Thomy Bourdelle, dont le visage tanné s'éclaire
du regard, aigu et lointain à la fois, de ceux
qui sont habitués à percer la brume et à fouiller
le large, le regard de Yann, pour tout dire !
Oui, vous vous doutez bien que le « parlant »
ne peut être traité comme l'œuvre littéraire...
A quelles difficultés la belle probité de Pierre
Guerlais ne s'est-elle pas heurtée !...
— Oui, je ne suis pas sans concevoir, par
exemple, combien le dialogue pouvait offrir
d'écueils... Sans doute, modifié, eût-il été
plus vivant, plus véridique; pourtant qui oserait reprocher au réalisateur d'avoir pieusement
conservé l'intégralité de ce texte qui chantera
toujours au fond de nos mémoires ?
— Et en ce qui concerne la mer, que n'a-t-on pas fait pour la rendre en sa grandeur,
en sa beauté, en son tumulte ! Prendre une
tempête, s'imagine-t-on ce que peut être ce
travail !
" Pourtant, voyez comme les scènes de grosse mer sentent la sincérité, la vérité, n'ont
rien de ces agitations artificielles que créent
les machines des studios.
— Je crois bien..., puisque, je ne vous le
cache pas, à la présentation, j'ai craint d'avoir
le mal de mer . . .
— Oui, Guerlais a tout mis en œuvre pour
la réussite ! Personnellement, il m'avait engagé
trois mois à l'avance... Une fois arrivé sur
place, j'ai vécu quelques jours, sans tourner,
à bord, dans l'odeur du goudron et de la morue la vie des gars de l'équipage, de ces pauvres
bougres qui travaillent dur, gagnent peu, qui
sont simples et sains... J'ai fait la manœuvre,
j'ai porté des vêtements achetés à l'un d'eux...
En revêtant ce costume qui avait déjà « fait
l'Islande, ce fut comme si j'entrais dans la
peau du marin.
Et Thomy Bourdelle se laisse aller à ses
souvenirs. L'accueil, l'amitié, le cœur de ces " bougres-là " il ne les oubliera pas de si tôt. Ce n'est pas en vain, d'ailleurs, qu'il a respiré
le vent au goût de sel, mouillé son visage
aux embruns, hâlé sa peau à l'air du large,
promené son regard sur le ciel bas et gris où
se pressent des nuages, qu'il s'est saturé enfin
de l'atmosphère de
cette Bretagne triste
et âpre...
C'est ainsi
qu'il faut faire, n'est-
ce pas, c'est en créant « le climat » que
l'on obtient cette
émotion, cette vérité, que Bourdelle a
atteintes dans son
rôle de Yann et que
le métier et même
l'art, seuls, ne sauraient donner.
Car, il faut bien le
dire, les deux premiers rôles, surtout,
demandaient des interprètes de grande
classe et celui de
Marguerite Weintenberger devait être
exprimé avec un sentiment et une émotion d'une rare qualité... On n'a pas
oublié de quelle gravité tendre, de quelle douceur est pétrie
cette Gaud que
Yann rencontre à
Paimpol le jour de
la procession des Islandais... Mais elle
lui semble inaccessible... Elle est riche.
Elle a vécu à Paris,
où elle a pris des
façons et « un air
distingué de demoiselle ». Comment
pourrait-elle accepter de devenir la
femme d'un pêcheur ? Pourtant il
l'aime, son âme simple s'est donnée pour
toujours.
On sait le reste ;
Gaud partage cet
amour et, lorsque son père meurt
ruiné, lorsque Yann
ose enfin se déclarer
c'est la joie des
aveux : « Croyez-
vous que cela faisait
mon affaire, à moi,
de ne pas me marier ?» lui dit-il. Ce
sont les épousailles...
Hélas ! la mer, jalouse, attend son
heure... Voici maintenant le départ des
Islandais, les bateaux un à un s'en
vont, la Léopoldine,
toute blanche, quitte
fièrement le port...
et le temps passe...
Les femmes, à présent, s'agenouillent,
les chapelets s'égrènent et glissent au
long des mains dressées, suppliantes devant la Vierge, Etoile
de la mer, les cierges
brûlent en pleurant
leurs larmes de cire.
Mais c'est en vain
que Gaud fait monter là-haut sa prière
fervente... La Léopoldine ne reviendra pas..., la mer a
repris son promis...
Elle s'est vengée et
Yann ne reviendra
jamais !...
Qui dira la beauté
de ces tableaux et
l'émotion qui s'en
dégage ? La photographie est splendide
et illustre d'une façon inoubliable ce
poème de l'amour...
Car Pêcheur d'Islande, tout comme
Tristan et Iseult, est
un poème de l'amour — un poème
de la mer aussi —
et qui continuera,
après nous, à toucher les cœurs de
ceux qui prendront
notre place... Je n'en
veux d'autre preuve
que les sanglots entendus à mes côtés,
lors de la présentation.
Paulette
MORAC.
L'Image, n° 112, 15 février 1934
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