NOS INTERVIEWS : LE RUGBYMAN CORSAIRE.
BOURDEL NOUS DONNE SON OPINION SUR LES RAPPORTS DU SPORT ET DU CINÉMA
Sur les terrains de rugby, un joueur évolue. Athlétique, remuant l'adversaire de ses fortes main, il écarte de sa route les opposants cramponnés, tel le peuple de Lilliput aux jambes de Gulliver. On suit son effort, on l'admire... O mode étrange ! Pourquoi, cet avant du Racing arbore-t-il des favoris immenses qui viennent expirer aux coins de ses lèvres ? La réponse est simple. Vous avez devant vous Kléber de "Jean Chouan".
Bourdel, qui fut le Marcof très remarqué de Surcouf, cumule dans la vie, des talents photogéniques et un amour désordonné de l’ovale. Toute la semaine il tourne ; tous les dimanches, il s’en va sur de petits terrains lointains, aider au triomphe de son quinze.
Le métier a ses risques. Un œil au beurre noir, le nez cassé, tout cela ne serait pas pour rendre le héros plus sympathique, ni pour faciliter la tâche du metteur en scène. Si, comme l’affirment les recettes de beauté américaines, aux pages des magazines « Votre figure, c’est votre fortune », au cinéma, plus qu’ailleurs !
Bourdel n’en a cure. A la mi-temps, il nous parle sport et art muet.
" Parce que les Américains ne peuvent avoir un grand champion de boxe sans le mettre à l’écran, on se figure, chez nous, que les sportifs feraient de beaux artistes. Ce n’est pas forcément vrai. Une adaptation est nécessaire. Tenez ! Entre le match de boxe « joué » par un artiste, et la rencontre « disputée » par deux véritables combattants, la préférence du public ira toute à la bande truquée. Parce qu’il faut savoir frapper avec art pour l’écran ; que "descendre" 1a victime n’est pas forcément un critérium d’esthétique, au royaume du contre-jour. Autre exemple. Notre champion Lewden, en passant 1 m. 95, accomplit un exploit sensationnel. Croyez-vous que ce bon, filmé, ferait de l’effet ? Nullement. En baissant l’appareil et réglant la lumière, vous feriez franchir trois mètres au petit Stadiste, et deux mètres à un figurant quelconque.
Si l’on écrit un scénario simplement pour tel ou tel athlète, là question devient un peu différente. Il ne s’agit plus que d’être comédien. Quel métier cela suppose !
Douglas Fairbanks, aux prouesses magnifiques, ne passe pas pour un comédien hors ligne. Mais, quelle mise en valeur, étonnante, de son plus minime effort ! Voilà un homme merveilleusement entraîné dont le geste sportif est décuplé par l’éclairage. Pour « le Voleur de Bagdad », Doug passa deux mois sur la côte de Floride à se faire bronzer par le soleil ; ainsi mettait-il en valeur sa musculature ! En des conditions de confort analogue, quels miracles ne pourraient être accomplis !
Enfin, ce n’est pas tout que de savoir nager, boxer, monter à cheval, faire des armes, voire jouer avec simplicité et émotion. Il faut que votre metteur en scène soit, lui-même un peu sportif ; qu’il sache adapter vos facultés à votre rôle, sans-vous faire commettre des hérésies !
En' ce qui me concerne, je dois toute ma reconnaissance à M. Luitz-Morat, qui a su tirer de ma place de troisième au Concours de l’athlète complet, le maximum de parti sur l’écran. Ce metteur en scène a tenu à m’utiliser toujours, dans la plénitude de mes moyens physiques. Ce faisant, il a servi ma cause, comme celle des films où je paraissais.
Il serait à souhaiter, enfin, qu’on s’orientât vers les bandes vraiment, foncièrement sportives. Les Américains nous sortent des productions remarquables, dans cet ordre d’idées. Chez nous, jamais un jeune premier, encore, n’a marqué d'essais à Colombes, ou de buts au Red Star. Pourtant la foule, les joueurs, les arbitres, les présidents de clubs, tout le monde se ferait un plaisir d'encourager les tours de manivelle d'un opérateur ingénieux..."
Le sifflet du referee strida.
"Allons Kléber ! criait-on. Les troupes te réclament! "
Bourdel reprit sa place, et botta le coup d'envoi.
C.-A GONNET.
L'Intransigeant, 30 novembre 1925
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