mardi 23 novembre 2021

QUELQUES MINUTES AVEC THOMY BOURDELLE - 1937.

- Quel beau gars ! m’écrierais-je, si je n’avais pas peur de vexer celui qui est assis en face de moi et se prépare paisiblement à subir la mitraillasse de mes questions. 

Car un homme, en général, n’aime pas beaucoup s’entendre dire qu’il est beau, et je comprends ça, car on applique trop souvent ce qualificatif à ces poupées de bazar géminées et calamistrées qu’on appelle communément « jeunes premiers ». 

Thomy Bourdelle, c’est autre chose, Dieu merci pour lui ! 


Quelle musculature, Seigneur ! Et quelle énergie dans ce visage éclairé pourtant d’un regard couleur de porcelaine de Delft, d’un regard qui peut avoir des duretés d’acier et des tendresses de ciel printanier. 

Vous rappelez-vous Surcouf ? Vous rappelez-vous le magnifique et sauvage et tendre corsaire qu’y créa Thomy ? 

Pourquoi ne le revoit-on plus dans des rôles à sa taille ? (une grande taille, vous pouvez m’en croire !...). 

 - Où êtes-vous né, monsieur ? 

- A Douvres, en Normandie. 

- On peut dire quand ? 

- Bien sûr, voyons !... Le 20 avril 1893. 

- En même temps que les fleurs de pommiers, alors ? (Je ne peux pas affirmer que Thomy ressemble, exactement à une fleur de pommier, mais, peut-être, à cette époque...). 

- Qu’est-ce que vous rêviez de faire, quand vous étiez petit ? 

- Je ne sais pas si ma vocation était réellement d’être ingénieur, mais c’est tout de même l’Ecole Centrale qui fût le but de ma studieuse jeunesse. Même, si j’avais voulu faire du théâtre, d’ailleurs, mes parents s’y seraient probablement opposés, car mon frère était à l’Odéon. Un comédien dans ma famille» c’était déjà beaucoup, mais deux... 

- Ces études studieuses dont vous parliez à l’instant avec un sourire un tantinet railleur, ou les fîtes-vous ?

- D’abord à Passy, chez les frères. Puis vint la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les frères émigrèrent en Belgique, et je les suivis. Et c’est là que je devins un sportif acharné. Nous avions un magnifique collège qui comportait une piscine, un vélodrome, etc..., et j’appris à monter à cheval avec les hussards. Le sport était pour moi une véritable passion et l’est resté, d’ailleurs. Je lui dois tant... Alors que j’étais à Centrale, je fus désigné pour aller passer mes vacances dans le collège d’athlètes de Reims. Je me promettais de passer là de bien belles vacances... Hélas !... C’était en juin 1914. 

- Je vois. 

- Naturellement, aussitôt que la guerre fût déclarée» je m’engageai. En 1918, j’avais deux galons. 

- Et la Légion d’honneur, si mes yeux ne m’abusent pas... 

- En effet. J’aurais, évidemment, pu faire une assez belle carrière dans l’armée. Tout le monde autour de moi me le conseillait. Mais on m’aurait donné un million pour y rester que j’aurais refusé avec la même énergie. 

- Merci pour le cinéma... Et que, devient alors votre vocation d’ingénieur ? 

- Ingénieur ! Il n’y fallait plus penser !... Pendant cette période fantastique de l’après-guerre, un diplôme d’ingénieur était un inutile chiffon de, papier. J’étais, naturellement, un peu désorienté, et c’est alors que je pensai au cinéma. Un jour, je me dirigeai à tout hasard vers les studios Gaumont, et j’y rencontrai ma chance, personnifiée par Léon Poirier. Il cherchait un bourreau pour « Jocelyn », mais un bourreau qui n’ait pas trop une gueule de brute ! Un bourreau à visage humain, quoi !... et musclé, naturellement. 

- Votre physique me, plaît, me dit-il. Mais puis-je vous demander de voir votre torse nu ? Bien entendu, je ne me fis pas prier, et j’eus mon contrat ! Un contrat somptueux de, deux semaines me garantissant trois cachets de soixante francs par semaine. 

- Evidemment, ce n’était pas la fortune, mais... 

- J’étais bien content quand même. A cette époque-là, d’ailleurs, on ne faisait pas fortune au cinéma, mais on gagnait bien sa vie et on travaillait avec foi et enthousiasme. 

- Sauf erreur, vous avez tourné plusieurs films avec Poirier ? 

- Oui. Après Jocelyn, je restai avec lui pour tourner le Courrier de Lyon, puis Geneviève. Entre temps, Diamant-berger m’avait demandé pour faire la doublure de son Porthos. « En vous rembourrant un peu, ça ira très bien », me disait-il. Et Préjean, qui devait « doubler » aussi pour Les trois Mousquetaires, me disait : « Viens donc, on rigolera bien... » J’allais accepter cette séduisante proposition quand Poirier me redemanda pour tourner Geneviève... Il est d’ailleurs assez curieux de penser que quinze ans plus tard je fus tout de même le Porthos de, Diamant-berger. 

- En somme, votre carrière cinématographique n’a jamais comporté de difficultés ? 

- Non. Elle s’est faite toute seule, comme ça. C’était une époque magnifique ! On passait des mois à se laisser pousser des moustaches ou des favoris... Et puis on tournait cinq mois par an en Bretagne... 

 - Surcouf ? 

- Et Fanfan-Ia-Tulipe, et Jean Chouan, et combien d’autres... Puis je revins avec Poirier pour La Brière, Verdun et Caïn... et le cinéma aurait continué à être une magnifique aventure si le « parlant » n’était venu tout démolir... Car les films français faisaient prime dans le monde... tandis que maintenant...

- Evidemment, l’exportation des films de langue, anglaise est d’une extraordinaire facilité. 

- Oui, rêve Thomy Bourdelle. Quand Christophe Colomb a découvert l’Amérique, il aurait dû exiger par contrat que les futurs habitants parleraient français... Ça aurait bien changé la face du monde... 

- On ne pense pas à tout, même quand on s’appelle, Christophe Colomb... Dites-moi, n’avez-vous pas envie d’aller tourner là-bas ? 

- J’ai failli y aller pour Big House, mais Mirande, qui était à Hollywood, a fait agir toute son influence pour qu’on engage André Berley à ma place. Il m’en parlait encore récemment, et je ne peux pas lui en vouloir, car Berley était son ami intime. 

- Cela vous aurait plu ? 

- Oui, naturellement. Et j’espère pouvoir dire bientôt que « ça me plaît ». 

- Ah ! ah ! 

- Chut !... les projets, vous savez, même quand ils sont construits sur des bases sérieuses, il ne faut pas trop en parler. 

- Je sais. Mais peut-être voudrez-vous me dire tout de même quel genre de rôle vous préférez interpréter ?

- Les rôles forts. J’aimerais de temps en temps être dans la peau d’un Mac Laglen, d’un Wallace Beery, d’un Jack Holt... 

- Je vous souhaite de tout cœur l’interprétation qui comblera vos vœux... 

- Mes vœux sont multiples et simples pourtant, sourit Thomy Bourdelle. Je souhaite sincèrement à tous mes amis français, acteurs et metteurs en scène, de pouvoir exercer leur profession sans se heurter aux mille obstacles qui, en ce moment, paralysent un peu, hélas, ce cinéma français qui fût si glorieux. 

En moi-même, j’ai ajouté, avec ferveur, « Ainsi soit-il ». 

Lucienne MORNAY. 

L’Image, 2 juillet 1937

Thomy BOURDELLE et Lisette LANVIN dans “ Les Deux Favoris”

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