Nous allons revoir Fantômas à l'écran, un Fantômas sonore et parlant, un Fantômas revu, corrigé et modernisé, pourrait-on dire. C'est Thomy Bourdelle qui joue le rôle de Juve, l'éternel adversaire du bandit qu'on ne voit jamais et qui sème cependant la terreur et la mort autour de lui.
L'énergique physionomie de Thomy BOURDELLE
ne passe pas inaperçue à la ville.
Le regretté René Cresté avait joué ce rôle au début du cinéma et y avait acquis une popularité immense. Le choix de Thomy Bourdelle, pour interpréter aujourd'hui le même rôle à quelque quinze ans d'intervalle, est fort heureux. Nul acteur de chez nous ne pouvait prêter un relief plus saisissant à la silhouette de ce policier Juve dont les aventures nous émerveillent et nous passionnent dans l'œuvre célèbre de Pierre Souvestre et Marcel Allain.
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En 1913, au concours de l'athlète complet qui réunissait la fleur de la jeunesse française, une des places d'honneur fut prise par Thomy Bourdelle. Thomy Bourdelle, neveu du grand sculpteur, avait alors pour ambition de devenir artiste lui-même. A l'École des Beaux-Arts, il peignait et taillait dans le marbre, puis il partit pour Reims, au collège d'athlètes fondé par Hébert et le marquis de Polignac dans le magnifique parc Pommery. La guerre devait l'y surprendre.
Une scène de "Fantômas"avec Thommy Bourdelle
Thomy BOURDELLE dans le rôle du policier Juve, le terrible adversaire de Fantômas.
Au retour des armées, Thomy Bourdelle. laissa tomber le ciseau et le maillet et chercha sa voie.
« Je suis entré au cinéma par la guillotine, a-t-il dit. C'est en effet dans le rôle du bourreau de Jocelyn que j'ai débuté dans la carrière. J'avais eu la chance, en cette occasion, d'être présenté à Léon Poirier avec qui je devais ensuite tourner L'affaire du courrier de Lyon, Geneviève, La Brière, Verdun, visions d'histoire, et enfin Cain. Entre temps j'ai tourné une dizaine de films, dont Surcouf, Jean Chouan, Les fiançailles rouges, La divine croisière.
»
Je vous passe les espoirs et surtout les déceptions des débuts de ma carrière. Mais je ne me suis jamais dégonflé parce que j'avais la foi et peut-être aussi parce que, étant un fervent de la boxe et du rugby, j'avais l'habitude d'encaisser.
Les créations de Thomy Bourdelle furent toujours fort remarquées et personne n'a oublié la silhouette d'officier allemand qu'il campa dans Verdun, visions d'histoire. Courageusement il a gravi l'échelle, il a rencontré de grandes, de vraies difficultés sur sa route et cependant il a persévéré.
Entre temps, il jouait au rugby comme pilier dans une équipe du Racing-Club de France. Son aspect hirsute (la plupart du temps il remplissait des rôles barbus) effrayait quelque peu l'adversaire. Souvent nous entendîmes: « Quel est cet homme des bois ?» Mais le métier d'artiste de cinéma ne peut se concilier avec les yeux au beurre noir ou les arcades sourcilières fendues. Thomy Bourdelle, bien à regret, dut quitter l'arène de ses exploits sportifs !
Il trouva sa voie avec Cain. Léon Poirier, pour s'exiler dans l'îlot admirable de Nossi-Bé, y établir son « camp de cinéma », s'était mis en quête de partenaires de grande allure. « L'homme révolté» ne se concevait que puissant, avec des traits marqués par la fatalité et, en même temps, assez façonné par les jeux du stade pour ne pas craindre de se montrer à peu près nu.
Thomy BOURDELLE à Nossi-Bé tournant « Caïn »
Thomy BOURDELLE dans Verdun, visions d'histoire.
Avec Thomy Bourdelle, avec Rama Tahé, Poirier disposait d'irremplaçables interprètes. La stature de l'un, la ligne de l'autre. pouvait-on mieux trouver en Europe?
Le film fut dur à réaliser. Une chaleur étouffante, de longues stations en plein soleil, tête nue, un climat magnifique et déprimant qui n'incitait guère à de violents efforts. Mais la petite troupe de Cain avait résolu de produire une grande chose, de tirer le maximum des circonstances, de vaincre, en un mot, dans cette bataille.
Thomy Bourdelle nous a confié que, dans le combat singulier qu'il livra avec un noir splendide, et qui est un des clous du film, les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi qu'on avait pu l'envisager. Aux répétitions, le lutteur malgache se laissait tomber, comme l'exigeait le scénario, au bout de quelques minutes de corps à corps acharné (par 45° à l'ombre). Le jour de la prise de vues, ce protagoniste, orgueilleux et naïf, ne voulut plus se laisser faire ! Un véritable assaut, sous l'œil de l'appareil, s'engagea alors, dont la sincérité cinématographique était indéniable, mais qui plaçait notre champion, déjà fatigué par la température, en assez difficile situation! La lutte se prolongea, épuisante et brutale. Finalement, pour mettre à la raison un adversaire qui ne voulait plus rien savoir pour toucher des épaules, Thomy dut avoir recours à une prise de jiu-jitsu. L'indigène, bras tordu, se sauva alors en criant.
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Au retour de Madagascar, Thomv Bourdelle tourna coup sur coup deux films aux studios Paramount de Joinville, A mi-chemin du ciel et Le Rebelle. Sa carrure athlétique, son masque énergique, parfois brutal, semblent le destiner éternellement aux rôles qu'on appelle communément en Amérique « les villains ». Dans A mi-chemin du ciel, il incarne le ténébreux acrobate dont la jalousie sauvage cause la mort de son partenaire.
Thomy BOURDELLE et Janine MERREY dans une scène de « A mi-chemin du ciel ».
Thomy Bourdelle n'oublie pas qu'il a pratiqué tous les sports et qu'il constitue le type le plus accompli de l'athlète complet. Il exécute, dans A mi-chemin du ciel, de véritables prouesses acrobatiques, dignes du meilleur des professionnels, et son audace fait frémir, de même que sa brutalité, férocité froide font frissonner.
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A un journaliste qui venait l'interviewer à propos de son rôle dans Le Général et qui s'étonnait de voir Thomy Bourdelle dans un beau costume sanglé, à taille, et portant des épaulettes d'or et la croix de Saint- Georges, le type de l'officier russe d'avant la révolution, Thomy Bourdelle, le protagoniste du Général, une des dernières réalisations de Paramount, ne put s'empêcher de s'écrier.
- Qu'est-ce qui vous étonne, cher ami ?
- Mon Dieu! fit l'autre un peu interloqué, j'ai dernièrement été voir le film de Léon Poirier, Cain, et j'avais pris l'habitude de vous voir nu, en plein air, portant une barbe de plusieurs mois et, au lieu de ce bel uni- forme, vous n'aviez pour tout costume qu'une sorte de pagne autour des jambes.
- C'est vrai, convint l'acteur, on est habitué, depuis plusieurs années, à me voir jouer des rôles de sauvage, mais je vais vous faire un aveu, je me sens presque aussi bien dans ce costume de cosaque que sous les vêtements (si l'on peut appeler vêtement le pagne de raphia) de Caïn.
J'ai peut-être eu des ancêtres russes, après tout, je vais rechercher dans la généalogie de ma famille.
Les personnalités qui se trouvaient au studio et qui entendirent cette boutade ne purent s'empêcher de rire.
René STUDY.
Thomy BOURDELLE photographié au studio entre Suzy VERNON
et Marlène DIETRICH alors qu'il tournait « Le Rebelle».