vendredi 3 janvier 2025

La Maison Dans La Dune de Pierre Billon (1934).

UN FILM DE QUALITE 
 La Maison dans la Dune 

Un seul film nouveau cette semaine mais c'est un film français. Et de qualité.

L'histoire qu'il nous propose, d'après un roman de Van Der Meersch, met aux prises, à la frontière franco-belge, entre Dunkerque et Furnes, tout un monde de fraudeurs et de douaniers, dont la vie, faite d'aventures quotidiennes offre une matière cinématographique particulièrement riche.

* * *


Ancien matelot, le Jeune et beau Sylvain (Pierre-Richard Wilm) est un as de la contrebande du tabac. Il vit maritalement, depuis six ans, avec une ancienne fille de brasserie, Germaine (Colette Darfeuil), qui le gruge et le trompe, et qu'il gâte, pourtant, du mieux qu'il peut. 

Cependant, un jour qu'il a "monté" en Belgique un chien de contrebande, Sylvain, flânant au retour, le long des canaux tranquilles s'arrête dans un petit estaminet désert tenu par deux braves vieux et leur nièce, la virginale Pascaline (Madeleine Ozeray). Pascaline est seule et le beau garçon éveille en elle les sentiments les plus troublants. Mais, restauré, Sylvain n'a qu'une hâte : aller retrouver Germaine à laquelle il avait donné rendez-vous, avec des amis, dans la brasserie d'où il la tira.

Or, dans cette brasserie, Germaine a l'habitude de rencontrer depuis quelque temps un homme dont elle ignorait jusqu'alors le métier, et qui n'est autre que l'inspecteur Lourges (Thomy Bourdelle) de la police mobile. Renseignée, Germaine repousse les avances du « flic ». Il n'en faut pas plus, on s'en doute, pour que celui-ci jure de posséder la fille et, pour y arriver, de « faire » Sylvain.

Germaine (Colette Darfeuil) et Lourges (Thomy Bourdelle)

Ceci ne sera pas commode. Sylvain, en effet, pense à Pascaline beaucoup plus qu'il ne le voudrait, et, l'ayant revue, il s'est mis en tête d'abandonner la contrebande et de retourner travailler au port. Cela ne fait l'affaire ni de Lourges qui, malgré les pièges tendus par ses indicateurs, ne peut prendre Sylvain en faute, ni de Germaine à qui le travail régulier de son homme rapporte beaucoup moins d'argent que la fraude.

Thomy Bourdelle dans le personnage saisissant de l'inspecteur Lourges.

Mais Lourges, qui est décidé à tout pour arriver à ses fins, a découvert la liaison toute platonique de Sylvain avec Pascaline. Il en informe Germaine. Et, ici, se place le plus gros défaut du film. Un après-midi, en rentrant du travail, Sylvain se voit faire par Germaine la scène la plus affreuse qu'il pouvait imaginer. Elle lui dit qu'elle connaît son aventure avec Pascaline. Elle lui annonce qu'elle est allée à l'estaminet belge où elle a révélé à la petite le véritable métier de Sylvain en même temps qu'elle a étalé sa propre liaison avec l'ancien matelot. Certes, cette scène de haine et de passion entre Germaine et Sylvain est parfaitement menée, mais c'est du théâtre, et nous eussions préféré voir la scène précédente entre Germaine et Pascaline plutôt que de l'entendre raconter.

Le contrebandier a pour ennemi juré un douanier qu'incarne Thomy Bourdelle / Visages et Contes du Cinéma n°18 / 1937.

Quoi qu'il en soit, Sylvain s'enfuit dans la nuit pour tenter d'aller retrouver Pascaline. Peine perdue. Alors il ira errer, durant deux jours, d'estaminet en estaminet, pour finalement revenir auprès de Germaine, épuisé et complètement démuni. Elle le reprend sans peine et le décide à recommencer la contrebande. Il accepte, mais à la condition que désormais elle l'aide. Le résultat ne se fait pas attendre. Inexpérimentée, Germaine se fait prendre par les douaniers. Mais Lourges qui veillait toujours, intervient. Il fait croire à Germaine que Sylvain l'a volontairement compromise pour se débarrasser d'elle. Folle de rage, elle s'abandonne au policier et lui révèle l'endroit où, chez lui, Sylvain cache le tabac de contrebande. 

Le combat qui se prépare permet de comparer la fine et élégante robustesse de Pierre Richard-Willm, 
et la puissante carrure de Bourdelle. Visages et Contes du Cinéma n°18 / 1937.

Lourges décide de perquisitionner chez Sylvain. Mais celui-ci, sur ses gardes, ne se laisse pas prendre, et il force Germaine à faire elle-même flamber le tabac compromettant. Si bien que quand Lourges et les gendarmes peuvent enfin entrer, il n'y a plus que de la fumée. Mais ce n'est que partie remise. Une fois de plus renseigné par Germaine qui ne songe plus maintenant qu'à se débarrasser de Sylvain par tous les moyens. 



Lourges, aidé de ses hommes arrive, une nuit, à mettre la main sur le contrebandier qui travaillait à faire passer un chargement complet de tabac. Lourges veut se payer le luxe de mettre seul, personnellement, les menottes à Sylvain. Celui-ci l'étend à terre d'un coup de poing. Lourges sort son revolver et tire. Sylvain, atteint au ventre, trouve pourtant la force de fuir. Il se dirigera, naturellement, vers le petit estaminet tranquille où dort la tendre Pascaline que Tom, le chien de contrebande, réveillera et conduira au blessé. Et la pure jeune fille relèvera celui-ci en lui disant tout doucement : 
 — On peut toujours recommencer sa vie... 
 
* * *

Nous avons signalé au passage un défaut grave de La Maison dans la Dune. C'est le seul qui soit d'ordre théâtral. Il y en d'autres qui tiennent presque essentiellement à la lenteur de l'ensemble, lenteur dont le metteur en scène n'est peut-être pas tout à fait responsable. Il faut, croyons-nous, en chercher la cause dans ce fait que le scénario de La Maison dans la Dune ne tourne pas autour d'un seul personnage central mais nous oblige à suivre l'histoire simultanément de quatre personnages de premier plan. Et cela rompt l'unité du spectacle. 

Quoi qu'il en soit et malgré ses défauts, La Maison dans la Dune est un film de haute valeur. Son metteur en scène, M. Pierre Billon, dont c'est la bande de début, y révèle des dons certains de « photographe d'atmosphère » et sa mise en place des personnages est toujours visuelle. Son art s'apparente très exactement, par là, à celui de Jacques Feyder.

 Quant à l'interprétation, qui est de tout premier ordre, il faut ajouter, aux noms déjà cités du romantique Pierre Richard Wilm, de la délicieuse Madeleine Ozeray, de la piquante Colette Darfeuil, de Thomy Bourdelle, qui a fait ici la plus belle création sa carrière, ceux d'Odette Talazac, de Rognoni, d'Alexandre Rignault, de Robert Ozanne et de 'Raymond Cordy", légèrement sacrifiés. 

La musique spécialement écrite par Van Parys épouse toujours l'action avec exactitude et discrétion. Pour toutes ces raisons, La Maison dans la Dune doit faire sur tous les écrans de France une longue et fructueuse carrière.

Marcel MARC.

mardi 31 décembre 2024

Thomy Bourdelle intime / Le Film Complet n°1696 / 26 Septembre 1935.

Si Thomy Bourdelle vivait en Amérique, il aurait certainement, au cinéma, une place aussi importante que celles de Douglas Fairbanks ou de Wallace Beery. Aux qualités sportives de ce dernier, à sa force, il allie la souplesse et la finesse sympathique du premier. 

Malheureusement pour lui, l'athlétique comédien habite... Paris! Il est donc tributaire des fluctuations et des caprices du cinéma français, tel que les événements et la difficulté des affaires l'ont fait aujourd'hui. Après un rôle comme celui de L'Homme à l'oreille cassée, où nul mieux que lui n'aurait pu rendre possible les spirituels anachronismes voulus par l'auteur, Thomy Bourdelle était en droit d'espérer non plus seulement le succès... mais la fortune! Sa vedette, déjà très importante, avait encore grandi de notables proportions. Hélas ! l'excellent artiste n'a pas encore, à la minute présente, retrouvé un rôle à l'échelle du tumultueux colonel Fougas. 

Dans la vie, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Dans notre cinéma, il en est de même pour les personnages que nos talentueux artistes sont appelés à incarner. C'est bien dommage! 

Cavalier émérite, expert dans tous les sports, Bourdelle est, au demeurant, un excellent homme d'intérieur, ainsi qu'en témoignent les photographies que nous reproduisons, ici. Nous le voyons tour à tour dans son bureau, au milieu de tous les "Thomy Bourdelle" de sa carrière de vedette, examinant sa collection de pipes ou admirant l'esthétique d'un Jupiter Olympien qu'il vient d'acquérir dans quelque coin spécialisé de Paris. Le sympathique comédien se double, en effet, d'un amateur d'antiquités et d'art. Son intérieur est un véritable musée. Toutefois. l'amour de l'Ancien ne l'empêche pas d'avoir un souci scrupuleux de la ligne moderne. C'est lui-même qui affirme », chaque jour, les plis impeccables de son pantalon. Nul ne réussit mieux que lui le coup-de-fer tailleur », disent ses amis. 

Le plus désagréable souvenir que Thomy Bourdelle ait gardé de sa carrière, est, pendant la réalisation de L'Homme à l'oreille cassée, l'opération du moulage de son visage, nécessitée par la fabrication de la momie qui le représentait après cent-quarante-neuf ans de léthargie. Un autre mauvais souvenir du sympathique comédien se réfère à la première vision de la dite momie, au studio, au moment où les sculpteurs chargés de l'exécuter l'avait révélé à leur... modèle ! Je me suis vu desséché et vieilli d'un siècle et demi, déclare Thomy Bourdelle. C'est une sensation que je ne souhaite à aucune jolie femme!

Le Film Complet n°1696 / 26 Septembre 1935. 

dimanche 15 septembre 2024

En Tournant au Pays de "Maria Chapdelaine" par Thomy BOURDELLE ( Paris Soir / 25 août 1934 ) .

 NOS VEDETTES ECRIVENT 

 En tournant au pays de "Maria Chapdelaine" 

par Thomy BOURDELLE 


Thommy Bourdelle est Esdras dans Maria Chapdelaine
Ciné Magazine / 30 août 1934 


L'Océan de Cherbourg à Québec. Arrêt à Québec. Juste le temps d'acheter quelques paires de mocassins, des bottes canadiennes, des splendides chemises à carreaux et des blousons authentiques qui auraient un succès fou à Deauville ou à Juan-les-Pins, et en route. 

A Dolbeau, nous tournons les premières scènes. L'usine à papier en est le cadre et Gabin l'acteur. Puis nous allons à Honfleur, par un dédale de chemins creux et embourbés. C'est là que se situe la maison de Maria. Samuel Chapdelaine et Esdras (votre serviteur) « font de la terre ». c'est-à-dire qu'ils brûlent un coin de bois, déracinent les troncs et les souches et défrichent le sol pour l'ensemencer. A ce travail, on prend chaud, très chaud même. Ajoutez que les moustiques ne nous épargnent guère et vous comprendrez l'état d'esprit du bûcheron qui trime ainsi dans la forêt. C'est biblique !  

Plus touristiques ont été les prises de vues sur les grands lacs et les rapides. C'est d'abord le canoë indien d'écorce de bouleau que chacun manie, au bout de quelques séances, comme un autochtone. Puis le lac incite au bain réparateur et les truites abondent. Nous tournons sur le grand lac Saint-Jean et les rapides environnants les scènes du début du film ainsi que toute la partie se rapportant aux Belges dans leurs tractations avec François Paradis. 

A Péribouka, nous nous mélangeons intimement aux Canadiens qui figurent d'ailleurs nombreux dans les scènes de village. Nous avons l'occasion de remarquer combien est grande l'influence du curé tout comme aussi nous nous plaignons un peu de la frugalité et de la monotonie des repas qui nous sont servis.

Ce n'est pas de la grande cuisine, ni même de la cuisine simplement bourgeoise. C'est juste de quoi se sustenter pour tenir le coup !

A Montréal, nous tournons les scènes se rapportant à Lorenzo, l'homme de la ville. J.-P. Aumont montre à Maria (Madeleine Renaud) les beautés et les grandeurs de la ville. Les opérateurs adroitement embusqués prennent des scènes d'une vérité étonnante. Il est certain que Maria doit être ébaubie quand elle compare le paysage lunaire de son pays d'Honfleur (Canada) avec le modernisme tout américain des rues de Montréal. 

Cela vous a une couleur folle, qui fait bien augurer du film. Toute la troupe de « Maria Chapdelaine ». son animateur Julien Duvivier, en tête, gardera, comme moi, un impérissable souvenir de son beau voyage.

Thomy Bourdelle


Paris Soir / 25 août 1934

mercredi 11 septembre 2024

THOMY BOURDELLE MONTE SUR LES PLANCHES A PONTOISE (1937).

 

THOMY BOURDELLE MONTE SUR LES PLANCHES A PONTOISE 

Profitant du séjour de Thomy Bourdelle dans sa propriété d’Eragny, près de Pontoise, M. Ed. James Rau, l’avisé directeur propriétaire du Royal Cinéma de cette ville, demanda à cet excellent artiste de présenter dimanche en matinée et en soirée le film L’Homme à l’oreille cassée dans lequel Thomy Bourdelle joue un rôle de premier plan. Donc par deux fois, dimanche, les fidèles habitués des spectacles de choix que leur donne M. Rau, eurent la surprise et le plaisir d’applaudir en chair et en os Thomy Bourdelle, qui brièvement, trop brièvement à leur goût, leur dit quelques mots sur la fiction du film. 
Thomy Bourdelle avait demande à Jim Gérald de l’accompagner et ce dernier, à la fin de la projection, monta à son tour sur la scène et raconta quelques histoires fort drôles. 
Ajoutons, sa modestie dut-elle en souffrir, que c’est notre excellent confrère de l'Auto, Louis Terrentroy, qui dirige dans ce journal la rubrique cinématographique avec l’autorité que l’on sait, qui eut l’idée de faire présenter par Thomy Bourdelle le film l’Homme à l’oreille cassé au Royal. 
Félicitons M. Ed. James Rau de l’avoir réalisée. 

Eugène Massoulard.

La Cinématographie Française : Revue Hebdomadaire.
18 février 1938



mardi 5 mars 2024

THOMY BOURDELLE & RAMA TAHÉ dans Caïn Aventure des Mers Exotiques.


THOMY BOURDELLE est, dans Caïn de Léon Poirier, l'homme à la musculature puissante mais harmonieuse qui vit dans la plénitude de ses facultés, au milieu de la végétation luxuriante des régions exotiques. La nature est en effet, pourrait-on dire, le principal personnage du film. Elle domine de sa splendeur et de sa force l'homme et sa compagne qui, petit à petit, cependant arrivent à l'asservir et à utiliser, pour leur bonheur, ses multiples ressources. Thomy Bourdelle a fait de Caïn une création symbolique, qui évoque, avec une saisissante vérité, toutes les douleurs et toutes les joies de l'homme primitif. 





RAMA TAHÉ, une jeune danseuse originaire de la Guadeloupe, s'est révélée artiste accomplie dans Caïn, le film de Léon Poirier, dont nous avons déjà montré à nos lecteurs toute la poésie et tout le charme exotique. Elle joue dans ce film le rôle de Zouzour, la compagne du maudit, qui a volontairement quitté la civilisation pour vivre sans contrainte dans l'exubérance de la nature tropicale. Rama Tahé apparaît sauvagement gracieuse et délicieusement femme au milieu de cette nature qui lui prodigue avec abondance ses fruits les plus savoureux. 




Ciné-Miroir n°300 / 1er janvier 1930





dimanche 3 mars 2024

DEVANT LE CLOS VOUGEOT / Mon Ciné n°109 / 20 mars 1924


DEVANT LE CLOS VOUGEOT. 

Dans le film qu'il vient de tourner Les Vins de France (Natura-Film). Maurice Challiot a intercalé certaines reconstitutions historiques. C'est ainsi que devant le fameux Clos Vougeot il tourna la scène curieuse qui se produisit en 1794, lorsque le colonel Bisson fit présente les armes à l'illustre Clos, affirmant que ce vignoble était une des gloires de la France. 


C'est l'artiste Bourdelle qui joua le rôle du colonel Bisson. On voit sur la photo ci-contre Bourdelle devant le Clos Vougeot. Il vient de terminer son maquillage. Assise sur les marches, faisant du crochet, la charmante Simone Jacquemin, autre interprète de ce film. Au-dessus d'elle, près de la boîte à maquillage, deux enfants de vigneron assistent à la scène. Bourdelle dans ce costume, révolutionna le pays, car il s'habilla à plusieurs kilomètres du Clos et vint à cheval retrouver son metteur en scène.

Mon Ciné n°109 / 20 mars 1924



vendredi 1 mars 2024

EN BRIERE avec Léon Poirier et Thomy Bourdelle ( Cinéa n°18 / 01 août 1924 ).

 


EN BRIERE avec Léon POIRIER 

Le beau roman de M. A. de Châteaubriant, que l'Académie Française, il y a un an, gratifia d'un de ses prix les plus enviés, révéla à ses innombrables lecteurs qu'il y avait à quelques heures de Paris un coin de France qui se distinguait de tous les autres par la nature de son sol autant que par les moeurs de ses habitants, par sa poésie simple et rude autant que par son respect des traditions. 
  Tant d'originalité devait tout naturellement attirer les cinégraphistes épris de pittoresque et non moins naturellement encore entre tous M. Léon Poirier, qui n'est pas le dernier à avoir su traduire en images mouvantes la poésie dont se pare le visage multiple de la France. Nous aurons donc au début du prochain automne un film portant ce titre La Brière et cette signature : Léon Poirier.  
  J'arrive de Brière où je suis allé passer trois jours en compagnie de Léon Poirier et de ses interprètes : Armand Tallier, José Davert ; Mlles Myrga, J. Marie-Laurent, Renée Wild et Prévost. 
  Située à une douzaine de kilomètres au nord de Saint-Nazaire la Brière s'étend des deux côtés d'une chaussée qui traverse quelques-uns de ses villages les plus importants : Saint-Joachim, Mayun que l'on ne peut facilement atteindre qu'en automobile. 
  Ce fut donc en automobile qu'en compagnie de Bourdel, l'athlétique, dévoué et gai régisseur de Léon Poirier je fis le chemin de Saint-Nazaire à Saint-Joachim où la troupe avait établi un quartier général. 
  « Saint-Joachim ne possède pas d'auberge assez importante pour nous loger tous », m'explique Bourdel tandis que nous traversons en trombe des petits villages aux maisonnettes blanches sous leurs toits de roseaux épais comme des édredons, alors nous avons loué une maison au bord du marais. Vous allez voir cette cagna : son propriétaire, qui est le maire de Saint-Joachim et Basque... Oui, Basque ! Pas mal pour un pays traditionaliste et fermé aux non-brièrons !— son propriétaire, pour se rappeler ses voyages, l'a débarrassée de son toit et transformée en bordj algérien... Alors quand il pleut— et il pleut souvent en Brière ! — nous devons dormir, un parapluie à la main ! Charmant hein ? « Et Bourdel rit, heureux ! Tenez ! voilà l'objet ! ». Une maison blanche hérissée de créneaux chocolat, surgit de la verdure au détour de: la chaussée. L'auto s'arrête et me voici au milieu d'une troupe gesticulante de brièrons et de brièronnes en qui je reconnais Mme Poirier, Tallier, Davert ; Mlles Myrga, Renée Wild et Mmes Marie-Laurent et Prévost. Tallier et Davert ont des faces tannées par le soleil et les petits bonnets des femmes prennent des allures inattendues sur les visages roses et mauves de maquillage. 



  Mais voici Léon Poirier qui sort de la kasbah, flanqué de ses opérateurs Belavorne et Georges Bastia. « Venez visiter la maison, me crie-t-il, et dire « bonjour » aux canards de Myrga ! » — « Oui, j'élève des canards — c'est l'industrie du pays ! » précise la créatrice de Geneviève. Mais Mme Poirier se glisse entre nous. « Non, non, à table, s'écrie-t-elle, mes sardines vont être brûlées ! ». 
  La table est dressée en plein air, toutes les pièces de la maison étant transformées en dortoir. Le rude vent souffle, le cidre emplit les bols de porcelaine et les sardines que Bourdel, au lever du soleil, est allé en motocyclette acheter au Croisic, apparaissent en rangées entre deux énormes grils où elles ont affronté les flammes d'un feu de tourbe. José Davert s'excuse de ne pas nous offrir un plat de grenouilles de sa façon, mais Mme Poirier qui aime les animaux, la veille au soir, quand toute la maisonnée dormait, a rejeté dans le marais les soixante grenouilles qu'il avait eu tant de mal à capturer. 

JOSÉ DAVERT dans le rôle d'Aoustin 

  Chacun s'évertue à me mettre au courant de la vie menée depuis des semaines en Brière par la compagnie : lever à 6 heures, ravitaillement à la Baule, à Guérande ou à Saint-Nazaire, ménage, cuisine, travail, vaisselle, etc. Jamais on ne se couche avant 11 heures. Voilà, n'est-il pas vrai? un emploi du temps qui devrait être offert en exemple à toutes les jeunes personnes atteintes de cinématomanie, car il leur ferait peut être comprendre que tout n'est pas rose dans le métier cinématographique. Mais cette vie n'est-elle pas à peu près celle que menaient aux siècles passés les troupes de comédiens qui parcouraient dans le chariot du Capitaine Fracasse ou dans celui de Molière les routes tout le long desquelles étaient embusqués le pittoresque et l'imprévu créateurs de débrouillardise. 

Mlle Myrga

  Toute l'après-midi on «tourne» au bord du marais les scènes qui mettent pour la première fois face à face Théotiste et Jeanin. Quelques paysans et paysannes, recrutés non sans peine par Bourdel, qui leur a promis qu'on les photographierait et qu'on leur donnerait leur portrait, assurent la figuration. 
  Le lendemain M. A. de Châteaubriant, qui a quitté Locronan où il prépare un nouveau roman, se joint à nous pour voir se métamorphoser en images la fresque brossée par lui avec des mots. Nous nous embarquons sans perdre une minute dans un des noirs et longs chalands que M. Léon Poirier a loués et nous filons sur le marais à la recherche de l'endroit où l'on pourra travailler. José Davert, Armand Tallier, Bourdel, Georges Bastia manient la perche comme de vieux brièrons. 



  On glisse parmi les hauts roseaux et les nénuphars vernis qui font sur la coque goudronnée un bruit très doux de soie et M. de Châteaubriant lentement égrène ses souvenirs. « C'est en hiver qu'il faut voir le marais, quand le ciel est bas. L'eau paraît de bronze et les villages sont auréolés de la fumée violette qui sort des cheminées où brûle la tourbe. Le long des chalandières, les tas de mottes se dressent en pyramides de deuil et les hauts-fourneaux de Trignac élèvent sur l'horizon leur menace rougeoyante. Si vous aviez vu tout cela comme je l'ai vu, il y a vingt ans! » 
  En effet, bien qu'il n'ait fait paraître son roman qu'en 1923, M. de Châteaubriant en a réuni la documentation plusieurs années avant la guerre si bien qu'il ne retrouve plus ses impressions d'alors et c'est, les yeux embrumés de mélancolie qu'il continue en regardant José Davert assis à l'arrière du chaland. « C'est mon Aoustin ! Il était là près de moi et pendant des heures je n'avais devant les yeux que sa haute silhouette noire... Aoustin est mort  le pauvre ! ... et la Brière meurt aussi! Il y a vingt ans toutes les femmes portaient la coiffe et tous les hommes le « mâtiné de beda » (petit chapeau rond). Quand j'arrivais à l'entrée d' un village j'étais accueilli par des ricanements quand ce n'était pas par une volée de cailloux ! ». 
  Mais Léon Poirier vient s'asseoir près de l'écrivain : « La Brière n'est pas si changée que vous le craignez, affirme-t-il. Sans doute les femmes se croiraient-elles déshonorées si elles ne portaient pas des chapeaux à l'instar de Paris et les hommes rougiraient-ils s'ils ne se coiffaient pas de casquettes de lads anglais... 



  Mais les villages se défendent toujours. Je n'ai pas encore pu « tourner » une seule scène à Feyrun et partout ailleurs nous avons dû nous faire accepter avec mille précautions. On sent que le curé, de son confessionnal, a glissé dans l'oreille de ses paroissiennes des paroles de méfiance à l'adresse du Cinéma, instrument de perdition. Rassurez-vous : ce n'est pas encore demain que les ingénieurs de Trignac assécheront le marais. La Brière se défend ! ». 
  De cette défense, j'ai eu quelques preuves au cours de mon séjour. Pour être certain d'avoir une figuration portant encore le costume local, M. Léon Poirier avait organisé un concours de coiffes doté de prix importants. Quelques femmes vinrent, les bandeaux noirs coiffés de linge brodé et tuyauté, mais quand arriva le moment de les photographier, elles présentèrent obstinément la nuque à l'appareil : « Vous voyez mieux nos coiffes ! » affirmaient-elles et il fallut avoir recours à la ruse pour les amener à tourner la tête vers l'objectif.
  Ailleurs, c'est un vieux pêcheur à qui nous apprenons que l'électricité est capable de fournir non seulement la lumière, mais encore la force qui permettrait d'assécher le marais et qui nous répond : « Je ne savais pas... Alors, vaut mieux que l'électricité ne vienne jamais jusqu'ici... On continuera à s'éclairer comme on pourra ! ». 
  Il est vrai que nous avons vu, ce soir là une jeune brièronne ramener, en pédalant, ses vaches du pâturage et le lendemain quatre landaus venus de Saint-Nazaire promener, à travers les rues de Saint-Joachim, une noce dédaigneuse des plus respectables et des plus jolies traditions et vêtue suivant les derniers préceptes des arbitres des élégances de la banlieue parisienne. 
  Ces partisans du progrès ont fini par céder au charme du Cinéma et le Cinéma lentement, grâce à l'habileté et au bon garçonnisme de la troupe de M. Léon Poirier, a conquis La Brière. 
   « Pourquoi, disait à un de ses voisins un homme qui fumait sa pipe en regardant passer Mme J. Marie-Laurent et Prévost, pourquoi a-t-on fait venir des femmes de Paris pour ça ? N'importe laquelle de nos femmes aurait été aussi bien qu'elles ! ». 
  Cette petite phrase n'avoue-t-elle pas que cet homme était sous le charme, mais n'est-elle pas aussi le plus beau compliment pouvant être adressé à des artistes qui n'ont pas d'autre désir que d'entrer, suivant l'expression consacrée, dans la peau de leurs personnages et qui, pour cela, confiants dans l'influence du physique sur le moral, ont vécu, des semaines durant, sans quitter leurs vêtements de paysans. 
 Ainsi le Progrès et la Tradition se disputent actuellement la Brière, comme, depuis des siècles, la Terre et l'Eau. Un jour viendra où la terre et le progrès seront vainqueurs et, ce jour-là, nous seront reconnaissants au Cinéma qui, grâce à M. Léon Poirier, aura enregistré un souvenir de l'époque pittoresque où La Brière était encore telle que M. de Châteaubriant la vit et la décrivit et où elle appartenait encore un peu à l'Eau et à la Tradition. 

Renée Jeanne

Les opérateurs LAURENCE MYRGA, A. TALLIER, L. POIRIER et J. DAVERT 
Pendant le déjeuner, entre deux prises de vues





 Extrait de Cinéa n°18, 01 août 1924 







lundi 26 février 2024

LES VACANCES DU DIABLE d'Alberto Cavalcanti / Ciné-Miroir, n°293, 14 novembre 1930.


FILM FRANÇAIS PARLANT 
RÉALISÉ PAR A. CAVALCANTI.
ÉDITÉ PAR PARAMOUNT. 

DISTRIBUTION 
Marcelle Chantal. Betty Williams.
Robert Hommet. Allan Stone.
Thomy Bourdelle. Mark Stone.
Maurice Schutz. David Stone.
Jacques Varennes Charles Thorne. 
Richard Wilm. Dr Reynolds. 

Elle possédait des intérêts dans une maison de couture où elle se rendait très souvent.


BETTY Williams était une charmante et jolie manucure attachée au salon de coiffure d'un grand hôtel. Mais, sous ces dehors de femme charmante et insouciante, elle cachait une âme forte et entreprenante. Sa grande ambition était de pouvoir réunir assez d'argent pour aller à Paris et s'y créer une situation indépendante. D'ailleurs, en plus de ses fonctions de manucure, Betty avait des intérêts dans un établissement de couture, et elle accroissait notablement ses revenus par les commissions qu'elle recevait des vendeurs auxquels elle procurait des clients. D'ailleurs, toutes les affaires de la jolie Betty étaient traitées sur des bases de la plus pure cordialité; jamais aucune affaire d'amour n'était intervenue dans sa vie et elle faisait preuve, vis-à-vis des hommes, d'une attitude très détachée. Elle avait coutume de dire en riant : 
— Oh ! les hommes, je les connais : moins on leur en accorde, plus on en obtient ! » 
 Un jour, un de ses camarades d'affaires, Thorne, désireux d'obtenir une commande, lui offrit un pourcentage exceptionnellement élevé. Comme elle s'en étonnait, il lui annonça qu'il s'agissait d'une grosse affaire. 
— Un certain Mark Stone, dit-il, fils du plus gros fermier en grains de la région, doit venir en ville, je veux lui vendre des machines agricoles. Il faut que vous m'aidiez à décrocher l'affaire ; elle sera, avec le pourcentage que je vous offre, aussi bonne pour vous que pour moi. 
Betty accepta cette offre. Mais, au lieu du Mark Stone attendu, ce fut son jeune frère Allan qui débarqua à la ville. Cet Allan était un jeune campagnard candide et naïf, il eut vite fait de tomber dans les filets de l'astucieuse Betty, et il accepta tout ce qu'elle voulut bien lui proposer ; il fit même plus, il en tomba follement amoureux. Mais les choses allaient se compliquer. Un vendeur concurrent, ayant appris les tractations de Betty, télégraphia au père d'Allan en le priant de venir immédiatement : 

Votre fils court un grand danger, venez immédiatement. 

Le père d'Allan Stone, ne pouvant se déplacer, envoya son fils aîné Mark pour mettre les choses au point. A peine arrivé, Mark se rendit chez le vendeur qui lui avait télégraphié. Celui-ci le mit au courant de la situation, et Mark sans hésiter, persuadé que son frère avait été le jouet de Betty, se rendit au magasin où elle travaillait. 

Avec grâce elle fit entrer ce visiteur qu'elle ne connaissait pas. 

Il eut avec elle une explication assez vive puis l'insulta grossièrement et satisfait sans doute de ce coup d'éclat, il revint près de son frère et ne lui mâcha pas ce qu'il pensait de Betty. 
— Tu n'as plus rien à faire ici, il faut revenir avec moi sans avoir revu cette femme. 

Marc arriva près d'Allan au moment précis où celui-ci téléphonait à Betty. 
Mais Allan ne l'entendait pas de cette oreille. Il courut, au contraire, chez Betty, afin de savoir ce qui s'était exactement passé entre elle et son frère. Betty le reçut de façon très froide. 
— Je n'ai rien à vous dire, monsieur, et si je puis me permettre, cependant, de vous donner un conseil, rentrez bien vite chez vous, comme vous le demande votre frère. Alors, Allan, avec la fougue de la jeunesse, se jeta à ses pieds, lui déclara qu'il l'aimait à la folie, et lui demanda de l'épouser. 
 Betty n'était pas femme à s'emballer aussi vite. Elle commença par ouvrir son cœur à Charles Thorne, lui raconta les insultes dont Mark Stone l'avait abreuvée, et lui parla aussi de ce qu'elle considérait comme une grande plaisanterie : la proposition de mariage d'Allan. 
— Mais, ce serait une merveilleuse revanche à tirer que d'épouser Allan et d'exiger ensuite cinquante mille dollars de la famille pour abandonner la place. 
 Betty commença d'abord par rire de cette proposition, puis à la réflexion, elle finit par la prendre au sérieux. Et, quelques jours après, elle couronnait la flamme d'Allan Stone en l'épousant. 
 Lorsque le jeune couple arriva à la maison des Stone, ce fut presque une révolution. Betty se rendit compte immédiatement qu'elle était tout à fait déplacée dans ce milieu. Le diable était en vacances à la campagne et une singulière lune de miel allait commencer. Mark, son beau-frère, lui était ouvertement hostile, mais le père David Stone persistait à croire qu'après tout il y avait peut-être encore quelque chose de bon dans cette femme que son fils Allan avait amenée à la maison. David Stone était un spécimen de puritain ayant un idéal très élevé et des principes ultra-rigides. Malgré sa bonne volonté du début, il ne tarda pas à s'apercevoir que cette manucure de la ville était tout à fait incapable de vivre parmi eux, et il se rangea à l'opinion de Mark. Un jour, enfin, il ordonna à Betty de quitter la maison et lui demanda quelle somme elle désirait pour cela. 
— Cent mille dollars, répondit froidement Betty.
On lui versa la somme et elle retourna à la ville, où elle commença une nouvelle vie, entourée de joyeux amis. 
Elle était maintenant à la veille de partir en voyage pour Paris. Charles Thorne venu lui faire ses adieux s'aperçut avec étonnement du changement qui s'était opéré en elle. Sa sérénité passée avait disparu et elle se montrait dans un état nerveux tout à fait inquiétant. Charles, d'ailleurs, était à peine arrivé, ce soir-là, au milieu de la fête, qu'on annonça David Stone. Ce fut une stupeur. Betty refusa de le voir sans témoins, et lui, de son côté, refusa de donner la raison de sa visite. 
Après son départ, l'inquiétude de Betty ne fit qu'augmenter. Peut-être Allan est-il malade, et son père venait-il lui donner de ses nouvelles, pensa-t-elle ? 
— Allons, avouez que vous aimez cet Allan, dit Charles, qui était resté près d'elle. 
— Eh bien, oui. Je l'aime maintenant que j'en suis séparée. Quelque temps après, Betty se décida brusquement à se rendre chez les Stone, et elle vendit tout ce qu'elle possédait de façon à pouvoir rembourser les cent mille dollars qu'elle avait exigés pour quitter Allan. 
David ne voulut pas la recevoir. Allan rentrait justement à ce moment-là. Il voulut se libérer du grand doute qui l'obsédait. 
— Est-ce exact, lui cria-t-il, que vous avez exigé cent mille dollars pour quitter cette maison? 
— C'est exact, Allan, mais pardonnez-moi, je venais justement aujourd'hui pour réparer cette mauvaise action. 
Elle avait à peine achevé cette phrase qu'Allan s'évanouissait, terrassé par une attaque foudroyante. 

Tous se penchaient maintenant, anxieux, sur le corps pantelant, épiant le moindre indice de vie. 

Betty en éprouva un violent chagrin, qui prouva à tous le changement qui s'était opéré en elle et son amour sincère pour Allan. David lui pardonna. Le choc de l'émotion subi par Allan devait d'ailleurs avoir un effet salutaire, et lorsqu'en s'éveillant il vit Betty à ses côtés, il lui prit la main et la porta avec amour à ses lèvres. Elle était pardonnée, un avenir heureux allait s'ouvrir désormais dans la maison des Stone. 






Ciné-Miroir, n°293, 14 novembre 1930. 






mardi 20 février 2024

NOTRE COUVERTURE : Thomy Bourdelle / Ciné-Miroir, n° 275, 11 juillet 1930


Un jour que l'on questionnait Thomy Bourdelle sur ses débuts dans la carrière cinématographique, il répondit avec humour: «Oh! moi, je suis venu au cinéma... par la guillotine !» Il débuta, en effet, dans le rôle du bourreau de Jocelyn. Il avait eu la chance d'être présenté en cette occasion à Léon Poirier, et il faut croire que l'artiste débutant ne fit pas mauvaise impression au metteur en scène, car, depuis, Thomy Bourdelle a tourné, sous la direction de Léon Poirier l'Affaire du courrier de Lyon, Geneviève, La Brière, Verdun visions d'Histoire et, enfin, Caïn. Pour cette production, Thomy Bourdelle a vécu six mois dans la brousse malgache, à Madagascar, et il se déclare enchanté de son séjour dans la grande île.

« Au reste, ajoute-t-il, je me félicite tous les jours d'avoir connu Léon Poirier, qui m'a toujours admirablement conseillé et soutenu. Je pense, à l'instar de beaucoup d'autres, qu'il est à classer dans les tout premiers réalisateurs du monde entier et souhaite travailler avec lui le plus souvent possible. » Thomy Bourdelle fut encore un des principaux artistes de Surcouf, de Jean Chouan, des Fiançailles rouges, du Martyre de sainte Maxence, de la Divine Croisière. C'est un des meilleurs artistes de composition du cinéma français. 

R. M.




lundi 19 février 2024

Un Grand Acteur de Composition - THOMY BOURDELLE. / ÈVE n°603, avril 1932.


Nous allons revoir Fantômas à l'écran, un Fantômas sonore et parlant, un Fantômas revu, corrigé et modernisé, pourrait-on dire. C'est Thomy Bourdelle qui joue le rôle de Juve, l'éternel adversaire du bandit qu'on ne voit jamais et qui sème cependant la terreur et la mort autour de lui. 


L'énergique physionomie de Thomy BOURDELLE 
ne passe pas inaperçue à la ville. 


Le regretté René Cresté avait joué ce rôle au début du cinéma et y avait acquis une popularité immense. Le choix de Thomy Bourdelle, pour interpréter aujourd'hui le même rôle à quelque quinze ans d'intervalle, est fort heureux. Nul acteur de chez nous ne pouvait prêter un relief plus saisissant à la silhouette de ce policier Juve dont les aventures nous émerveillent et nous passionnent dans l'œuvre célèbre de Pierre Souvestre et Marcel Allain. 

 ❖ ❖ 

En 1913, au concours de l'athlète complet qui réunissait la fleur de la jeunesse française, une des places d'honneur fut prise par Thomy Bourdelle. Thomy Bourdelle, neveu du grand sculpteur, avait alors pour ambition de devenir artiste lui-même. A l'École des Beaux-Arts, il peignait et taillait dans le marbre, puis il partit pour Reims, au collège d'athlètes fondé par Hébert et le marquis de Polignac dans le magnifique parc Pommery. La guerre devait l'y surprendre. 


Une scène de "Fantômas"avec Thommy Bourdelle 




Thomy BOURDELLE dans le rôle du policier Juve, le terrible adversaire de Fantômas. 


Au retour des armées, Thomy Bourdelle. laissa tomber le ciseau et le maillet et chercha sa voie. 
« Je suis entré au cinéma par la guillotine, a-t-il dit. C'est en effet dans le rôle du bourreau de Jocelyn que j'ai débuté dans la carrière. J'avais eu la chance, en cette occasion, d'être présenté à Léon Poirier avec qui je devais ensuite tourner L'affaire du courrier de Lyon, Geneviève, La Brière, Verdun, visions d'histoire, et enfin Cain. Entre temps j'ai tourné une dizaine de films, dont Surcouf, Jean Chouan, Les fiançailles rouges, La divine croisière. » 
Je vous passe les espoirs et surtout les déceptions des débuts de ma carrière. Mais je ne me suis jamais dégonflé parce que j'avais la foi et peut-être aussi parce que, étant un fervent de la boxe et du rugby, j'avais l'habitude d'encaisser. 
Les créations de Thomy Bourdelle furent toujours fort remarquées et personne n'a oublié la silhouette d'officier allemand qu'il campa dans Verdun, visions d'histoire. Courageusement il a gravi l'échelle, il a rencontré de grandes, de vraies difficultés sur sa route et cependant il a persévéré. 
Entre temps, il jouait au rugby comme pilier dans une équipe du Racing-Club de France. Son aspect hirsute (la plupart du temps il remplissait des rôles barbus) effrayait quelque peu l'adversaire. Souvent nous entendîmes: « Quel est cet homme des bois ?» Mais le métier d'artiste de cinéma ne peut se concilier avec les yeux au beurre noir ou les arcades sourcilières fendues. Thomy Bourdelle, bien à regret, dut quitter l'arène de ses exploits sportifs ! 
Il trouva sa voie avec Cain. Léon Poirier, pour s'exiler dans l'îlot admirable de Nossi-Bé, y établir son « camp de cinéma », s'était mis en quête de partenaires de grande allure. « L'homme révolté» ne se concevait que puissant, avec des traits marqués par la fatalité et, en même temps, assez façonné par les jeux du stade pour ne pas craindre de se montrer à peu près nu. 

Thomy BOURDELLE à Nossi-Bé tournant « Caïn »





Thomy BOURDELLE dans Verdun, visions d'histoire. 

Avec Thomy Bourdelle, avec Rama Tahé, Poirier disposait d'irremplaçables interprètes. La stature de l'un, la ligne de l'autre. pouvait-on mieux trouver en Europe? 
Le film fut dur à réaliser. Une chaleur étouffante, de longues stations en plein soleil, tête nue, un climat magnifique et déprimant qui n'incitait guère à de violents efforts. Mais la petite troupe de Cain avait résolu de produire une grande chose, de tirer le maximum des circonstances, de vaincre, en un mot, dans cette bataille. 
Thomy Bourdelle nous a confié que, dans le combat singulier qu'il livra avec un noir splendide, et qui est un des clous du film, les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi qu'on avait pu l'envisager. Aux répétitions, le lutteur malgache se laissait tomber, comme l'exigeait le scénario, au bout de quelques minutes de corps à corps acharné (par 45° à l'ombre). Le jour de la prise de vues, ce protagoniste, orgueilleux et naïf, ne voulut plus se laisser faire ! Un véritable assaut, sous l'œil de l'appareil, s'engagea alors, dont la sincérité cinématographique était indéniable, mais qui plaçait notre champion, déjà fatigué par la température, en assez difficile situation! La lutte se prolongea, épuisante et brutale. Finalement, pour mettre à la raison un adversaire qui ne voulait plus rien savoir pour toucher des épaules, Thomy dut avoir recours à une prise de jiu-jitsu. L'indigène, bras tordu, se sauva alors en criant. 

 ❖ ❖ 

Au retour de Madagascar, Thomv Bourdelle tourna coup sur coup deux films aux studios Paramount de Joinville, A mi-chemin du ciel et Le Rebelle. Sa carrure athlétique, son masque énergique, parfois brutal, semblent le destiner éternellement aux rôles qu'on appelle communément en Amérique « les villains ». Dans A mi-chemin du ciel, il incarne le ténébreux acrobate dont la jalousie sauvage cause la mort de son partenaire. 

Thomy BOURDELLE et Janine MERREY dans une scène de « A mi-chemin du ciel ». 


Thomy Bourdelle n'oublie pas qu'il a pratiqué tous les sports et qu'il constitue le type le plus accompli de l'athlète complet. Il exécute, dans A mi-chemin du ciel, de véritables prouesses acrobatiques, dignes du meilleur des professionnels, et son audace fait frémir, de même que sa brutalité, férocité froide font frissonner.

 ❖ ❖ 

A un journaliste qui venait l'interviewer à propos de son rôle dans Le Général et qui s'étonnait de voir Thomy Bourdelle dans un beau costume sanglé, à taille, et portant des épaulettes d'or et la croix de Saint- Georges, le type de l'officier russe d'avant la révolution, Thomy Bourdelle, le protagoniste du Général, une des dernières réalisations de Paramount, ne put s'empêcher de s'écrier. 
- Qu'est-ce qui vous étonne, cher ami ? 
- Mon Dieu! fit l'autre un peu interloqué, j'ai dernièrement été voir le film de Léon Poirier, Cain, et j'avais pris l'habitude de vous voir nu, en plein air, portant une barbe de plusieurs mois et, au lieu de ce bel uni- forme, vous n'aviez pour tout costume qu'une sorte de pagne autour des jambes. 
- C'est vrai, convint l'acteur, on est habitué, depuis plusieurs années, à me voir jouer des rôles de sauvage, mais je vais vous faire un aveu, je me sens presque aussi bien dans ce costume de cosaque que sous les vêtements (si l'on peut appeler vêtement le pagne de raphia) de Caïn. J'ai peut-être eu des ancêtres russes, après tout, je vais rechercher dans la généalogie de ma famille. 
Les personnalités qui se trouvaient au studio et qui entendirent cette boutade ne purent s'empêcher de rire.

René STUDY. 



Thomy BOURDELLE photographié au studio entre Suzy VERNON 
et Marlène DIETRICH alors qu'il tournait « Le Rebelle».






ÈVE n°603, avril 1932



vendredi 9 février 2024

Thomy Bourdelle, Vedette Rugbyman.

FRANCE. - Thomy Bourdelle, rugbyman et vedette des films "Caïn" et "A mi-chemin du ciel". 

 

Revue Match l’intransigeant de 1930.










vendredi 26 janvier 2024

LE TOUT - POUR VOUS : BOURDELLE (Thomy) / Pour Vous n°373 du 9 Janvier 1936.

Thomy Bourdelle doit son prénom, qui n'est ni Thomas, ni Tommy, mais très exactement Thomy, à sa mère qui était d'origine irlandaise, tandis que son père était Normand. Il naquit à Paris, un 20 avril. Habite 150 bis, boulevard Pereire, à Paris ; envoie sa photo. 

Particularités physiques et morales. — Taille : 1 m. 805, sous la toise. Poids : 88 kg. 500. Pesait 85 kilos à dix-huit ans. Solidement charpenté, n'a pas un pouce de graisse. Très sportif. Joue encore au rugby. S'entraîne régulièrement au Racing, à la Croix Catelan. A un cheval de selle, Silly Boy, et le monte régulièrement, mais trouve que c'est là un plaisir et non un véritable sport. Mais s'il avait eu poids et taille lui permettant de monter professionnellement en obstacles, n'aurait pas cherché d'autre carrière, car monter en course le passionne. Nage. Aime l'aviation et l'auto. Est trop vraiment sportif pour que la culture physique l'amuse. Pas tellement gourmand, n'apprécie guère non plus la boisson : croit que ces deux plaisirs lui manquent. Assez brutal, mais pas coléreux. Pas rancunier. Pas tellement ouvert, mais pas menteur non plus : fermé, tout simplement. Pense tout ce qu'il dit, mais est bien loin de dire tout ce qu'il pense. Aime la campagne, toute la nature ; a une petite ferme en Normandie où il passe tous ses loisirs ; il y réfléchit « à tout ce qu'on pourrait faire... si on pouvait », tant dans le domaine agricole que dans celui du cinéma. Son chien, Silly, est là-bas, un dalmatien. Beaucoup de poules. Un petit cheval de labour qui s'appelle Gamin. Aime la musique, l'entendre, pas en faire, car, dit-il, « il pianote comme un dégoûtant ». Le regrette, d'ailleurs. Regrette aussi de ne pas lire beaucoup, sauf en voyage, mais il y a deux raisons à cela : le temps passe trop vite — et Bourdelle n'aime pas les déceptions. Alors, il revient à quelques livres de chevet, toujours les mêmes, où il est sûr de trouver une substance à son goût. Bien qu'il se soit destiné à Centrale, il est aussi peu cartésien que possible et considère Pascal comme le Grand Maître. Reprend souvent -les Pensées... 

Sa vie. — Etudes chez les frères de Passy, qui formaient les élèves en vue de Centrale. A leur exil en Belgique, il les suit au collège de Froyennes. Les études de piano étaient pendant les récréations : en moins de deux mois, le jeune Thomy avait compris... et renoncé pour toujours aux gammes. Le sport lui était, par contre, déjà cher et, à dix-huit ans, il était arrivé à la demi-finale du concours de l'athlète complet. C'étaient ses dernières vacances avant Centrale, il demanda à les passer au collège d'athlètes, au parc Pommery, à Reims, et se préparait à concourir pour la finale le 15 août. Mais ce 15 août était celui de 1914... 

La démobilisation le trouva, en 1919, quelque peu désorienté : il n'était plus question pour lui de faire Centrale ! Il hésitait à rester dans l'armée, passa six mois dans la soierie à Lyon, puis tout à coup, comme ça, il se décida... 

Au cinéma. — Deux semaines de trois cachets à 60 francs l'un lui étaient garanties lorsqu'il débuta dans Taxi 313 X-7, avec Saint-Granier, chez Gaumont, Pière Colombier metteur en scène. Il fit onze cachets au total ; ce fut donc, pour le temps, une affaire assez brillante. Vinrent ensuite : La Maison de Saint Cloud, Château historique, La Bouquetière des Innocents, Le Cousin Pons. A cause de ses muscles, Poirier lui confia le rôle du bourreau dans Jocelyn. Puis, il y eut Le Courrier de Lyon et Geneviève ; Surcouf, La Divine Croisière, Jean Chouan, Fanfan-la-Tulipe, Jocaste, Le Course au flambeau, Les Trois Mousquetaires. Avec Poirier, à nouveau, Verdun et Caïn, son rôle préféré. Poirier et lui étaient partis en Allemagne entendre les premiers parlants, et Poirier s'en inquiétait, « le français n'étant pas une langue universelle ». C'était, hélas ! vrai. Ensuite, Les Vacances du diable, A mi-chemin du ciel, Camp volant, Le Rebelle (encore un rôle qu'il aime, ainsi que le suivant), Le Docteur Mabuse, L'Etoile de Valencia, Adieu les beaux jours, Les Isolés, Fantômas, Mon ami Tim, La Maison dans la dune, Maria Chapdelaine, Un homme de trop à bord et Marika*, qui est à peine terminé.


* "Marika" fut plus tard rebaptisé "Les deux favoris" 

Source : Pour Vous n°373 du 9 Janvier 1936



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La Maison Dans La Dune de Pierre Billon (1934).

UN FILM DE QUALITE   La Maison dans la Dune  Un seul film nouveau cette semaine mais c'est un film français. Et de qualité. L'histoi...